mercredi 6 décembre 2017

Note de lecture : Anton Tchekhov

La steppe
d’Anton Tchekhov


Tchekhov est, par excellence, le prosateur de l’anodin. Du moins est-ce mon sentiment. Il l’est surtout parce qu’il ne décrit pas le quotidien pour situer socialement ses personnages - ainsi que l’a fait Balzac, par exemple -, mais bien plutôt pour chercher au sein même de l’accoutumé ce qui structure une vision du monde qui rejaillit sur les actes les plus familiers. À cet égard, La steppe (1) me paraît exemplaire.

J’entendais récemment Alain Finkielkraut affirmer une nouvelle fois qu’il n’avait pas d’opinions :
« Je suis affecté par le monde. Proust disait : “Les idées sont des succédanés des chagrins” (2). Moi je pense sous le coup d’un choc, d’un chagrin, d’une inquiétude. » (3)
Ce ne pourrait être vrai que si le choc, le chagrin et l’inquiétude ne rencontraient pas une idée qui leur préexiste. L’émotion n’est d’ailleurs pas le gage d’une sincérité que l’idée, voire l’opinion, n’auraient pas. Il s’agit sans doute de faire entendre que l’on ne réagit pas par systématisme, mais plutôt en se laissant imprégner par la singularité de l’événement, sans trop de préjugés. Mais ils sont pourtant là, les préjugés, et il s’agit surtout de leur imposer silence. Et, de ce point de vue, Finkielkraut a raison, même s’il feint un peu de n’avoir pas d’opinions. Il en a ; je les ai déjà rencontrées.

Cela dit, il y a bien quelque chose en-deçà de l’opinion, et quelque chose qui nous détermine profondément. Et pas seulement ce que Durkheim appelait les prénotions (4). Il y a aussi une sorte d’équilibre plus fondamental qui place ou déplace un curseur sur un mélange d’oppositions, tel par exemple celle que crée le rapport entre l’immobilité et le mouvement (5), entre l’inertie et la convulsion, entre le calme et la furie.

À nous qui vivons le plus souvent dans la furie, La steppe nous rappelle des temps qui diffèrent avant tout des nôtres par l’imprégnation de l’immobilité dans les esprits. Les choses y sont vues comme pérennes, au point qu’il faut craindre le changement, qu’il faut supporter sinon préférer l’ennui, qu’il faut aimer l’été dont la chaleur fige tout dans une ambiance au sein de laquelle les bruits et les mouvements rappellent la constance du calme. Je cite :
« Si on lève les yeux vers le ciel vert pâle constellé d’étoiles, pur de tout nuage et de la moindre tache, on comprend pourquoi l’air tiède est immobile, pourquoi la nature tout entière est aux aguets et craint de bouger : elle est figée de peur et ne voudrait pas perdre un instant de vie. La profondeur insondable et l’immensité infinie du ciel ne sont nulle part aussi sensibles qu’en mer ou dans la steppe au clair de lune. Ce ciel est effrayant, magnifique, enjôleur, il vous regarde avec langueur, il vous appelle, et sa tendresse vous fait tourner la tête. » (p. 68)

Déjà Pascal parlait de l’éternel et effrayant silence des espaces infinis (6). Mais peut-on mesurer combien ce ciel a changé depuis ? Ce que le plus souvent nous croyons à présent en savoir l’a transformé en furie. Au point que ce que Montaigne disait si lucidement sur le mouvement et son ubiquité (7) paraît aujourd’hui quelque peu naïf. Il y a, dans ce saut d’une vision marquée par l’immobilité première des choses à une vision dominée par le sentiment d’un chaos furieux, quelque chose qui explique la modification que réclame le concept de nature, depuis la version d’un milieu essentiellement fait de minéraux, de végétaux et d’animaux tels que les sens peuvent les appréhender à une conception forgée par des connaissances abstraites et qui renvoie le milieu terrestre qui nous enchante à une exception, une rareté, une singularité qui rend bien peu compte de l’ambiance générale de l’univers. Voilà ce qui peut peser sur nous, sur nos manières de penser, de réagir, simplement de vivre.

Mais revenons à La steppe. Si l’on se laisse un tant soi peu convaincre par ce qu’a pu représenter le poids de l’immobilité dans l’écriture de Tchekhov, le charme du propos grandit. Ainsi :
« On roule une heure, puis deux… On trouve sur son chemin un vieux tumulus silencieux ou un menhir placé là Dieu sait quand et par qui ; un oiseau de nuit vole sans bruit au-dessus de la terre et peu à peu renaissent dans la mémoire les légendes de la steppe, les récits des voyageurs, les contes d’une nounou originaire de ces régions, et tout ce qu’on a pu voir soi-même et ressentir en son âme. Alors la stridulation des insectes, les silhouettes mystérieuses et les tumulus, le ciel bleu, le clair de lune, le vol d’un oiseau de nuit, bref tout ce qu’on voit et qu’on entend devient un symbole de la beauté triomphante, de la jeunesse, de la plénitude des forces et d’un désir passionné de vivre ; l’âme répond à l’appel de la belle et rude patrie et on voudrait s’envoler au-dessus de la steppe avec l’oiseau de nuit. Mais il y a aussi de l’angoisse et de la tristesse dans ce triomphe de la beauté et du bonheur : on dirait que la steppe sait qu’elle est seule, que sa richesse et son pouvoir d’inspiration s’épuisent sans profit pour le reste de l’univers, puisque personne ne les chante, personne n’en a besoin […] » (pp. 68-69)
Il y a quelque chose comme une dialectique qui se construit entre la spontanéité des idées qui traversent l’esprit et l’immuabilité dont témoigne le milieu, y compris dans ses manifestations les plus changeantes. Ainsi encore :
« Iégorouchka n’avait envie de penser qu’à Varlamov et à la comtesse, surtout à cette dernière. Son cerveau brouillé de sommeil se refusait à toutes les pensées ordinaires, s’embrumait et ne retenait que les images féeriques, fantasmagoriques qui présentent l’avantage de naître d’elles-mêmes dans le cerveau sans le moindre effort de la part de celui qu’elles visitent, et de disparaître de même sans laisser de traces - il suffit pour cela de bien secouer la tête. D’ailleurs, rien de ce que Iégorouchka voyait autour de lui n’était ordinaire. À droite, c’était la masse noire des collines qui semblait cacher quelque chose de mystérieux et d’effrayant ; à gauche, le ciel inondé de telles lueurs rouges à l’horizon qu’on se demandait s’il y avait un incendie quelque part ou si c’était la lune qui s’apprêtait à se lever. Le lointain était encore visible comme dans la journée, mais la teinte mauve tendre qui l’avait coloré avait disparu, estompée par la brume crépusculaire. Toute la steppe se cachait dans l’obscurité comme les enfants de Moïse Moïsséïtch sous leur couverture.
Pendant les soirées et les nuits de juillet, on n’entend plus les cailles, les râles, ni le rossignol dans les ravines de la forêt ; les fleurs n’embaument plus. Et pourtant la steppe est encore très belle et très vivante. Il suffit que le soleil soit couché et la terre enveloppée d’ombre pour que la tristesse de la journée soit oubliée, et que tout soit pardonné. L’obscurité de la nuit lui cachant sa flétrissure, l’herbe s’anime d’un gai remue-ménage juvénile tel que jamais elle n’en connaît dans la journée ; les craquements, les sifflements, les grattements, les basses, les ténors et les sopranos de la steppe, tout cela se fond en un bourdonnement ininterrompu qui incite aux souvenirs et à la mélancolie. Cette stridulation endort comme une berceuse ; on roule à travers la steppe et on sent qu’on va s’endormir, mais soudain c’est le cri inquiet et saccadé d’un oiseau qui ne dort pas encore, ou un bruit indéfinissable rappelant une voix humaine, comme un “aaah” d’étonnement, et voilà le sommeil qui quitte les paupières. Ou encore on passe devant un ravin avec des arbustes et on entend cet oiseau que les habitants de la steppe appellent le “spliouk” crier à quelqu’un “spliou, spliou ! spliou !” tandis qu’un autre - c’est un hibou - rit aux éclats ou sanglote comme une femme hystérique. Pour qui crient-ils et qui les écoute dans cette vaste plaine, Dieu seul le sait, mais leur cri est lourd de tristesse et de plainte. Ça sent le foin, l’herbe séchée, les fleurs tardives, et cette odeur est épaisse, douceâtre et tendre.
 » (pp. 66-67)

La durée des choses imprime en chacun une échelle qui structure l’angoisse d’être peu. Qu’à présent la transformation inéluctable qui frappe tout nous conduise souvent à un tourment dont la première marque est qu’il ne peut être lui-même que passager n’aggrave guère le désarroi né à d’autres moments de l’immobilité du reste. Tchekhov en témoigne :
« Quand on regarde longtemps la profondeur du ciel, sans en détacher les yeux, les pensées et les sentiments se rejoignent inexplicablement dans une sensation de solitude infinie. On se sent soudain irrémédiablement seul. Tout ce qui nous était proche et familier nous devient terriblement étranger et indifférent. Si on reste seul en présence des étoiles millénaires, du ciel et des ténèbres, énigmatiques et indifférents à la courte destinée humaine, si on essaie de comprendre leur signification, on ne peut être qu’angoissé par leur mutisme et on songe inévitablement à la solitude qui attend chacun de nous dans la tombe. Notre existence même paraît alors désespérée et effrayante… » (pp. 96-97)

Et alors, même sous le poids de l’immuable, plane l’empreinte du changement :
« Pendant le repas, la conversation fut générale. À les écouter parler Iégorouchka conclut que ses nouveaux compagnons, si différents par l’âge et le caractère, avaient tous un trait commun qui les rendait semblables ; ils avaient tous eu un passé merveilleux et leur présent à tous était détestable. Tous sans exception parlaient de leur passé avec émerveillement et de leur présent avec horreur. Le russe aime se souvenir, il n’aime pas vivre. Mais Iégorouchka ne le savait pas encore ; aussi, avant même d’avoir terminé sa soupe, il était profondément convaincu que les hommes qui étaient réunis autour de la marmite étaient les victimes de l’injustice et de la dureté du sort. Pantéléi racontait qu’autrefois, quand il n’y avait pas encore de chemin de fer, il convoyait des chariots à Moscou et Nijni-Novgorod et gagnait tellement d’argent qu’il ne savait qu’en faire. Et les marchands qu’il y avait dans ce temps-là, et le poisson ! Et comme tout était bon marché ! Depuis, les routes avaient raccourci, les marchands étaient devenus avares, le peuple s’était appauvri, le prix du blé avait monté. Tout avait terriblement rapetissé et rétréci. » (pp. 93-94)

Je doute qu’il faille ne voir là que le simple lieu commun de la nostalgie des ainés, ni davantage une illustration du principe héraclitéen du Πάντα ῥεῖ. C’est autre chose, ou peut-être les deux à la fois : la rencontre de l’esprit et du réel, le premier ne pouvant rattraper le second.

Je ne doute pas un seul instant qu’il soit possible (et assurément souhaitable) de lire bien d’autres choses dans La steppe. Et celui qui n’y verrait que de la tendresse humaine aurait certainement saisi l’essentiel, tant Tchekhov, par la façon qu’il a de toujours taire la gloire des ambitieux, ne désigne l’estimable que dans la sincérité la plus discrète qui soit.

(1) Anton Tchekhov, La steppe. Histoire d’un voyage, trad. par Olga Vieillard-Baron, Flammarion, 2017.
(2) Marcel Proust, Le temps retrouvé t. 2, Gallimard, 1927, p. 57. Voici la citation, telle qu’il me semble préférable de la compléter pour bien en saisir le sens : « Les idées sont des succédanés des chagrins ; au moment où ceux-ci se changent en idées, ils perdent une partie de leur action nocive sur notre cœur, et même, au premier instant, la transformation elle-même dégage subitement de la joie. Succédanés dans l’ordre du temps seulement, d’ailleurs, car il semble que l’élément premier ce soit l’idée, et le chagrin seulement le mode selon lequel certaines idées entrent d’abord en nous. Mais il y a plusieurs familles dans le groupe des idées, certaines sont tout de suite des joies. » [N.D.R.]
(3) Ces mots furent prononcés sur France 2 lors de l’émission “On n’est pas couché” du 25 novembre 2017, émission généralement assez détestable, car on y cultive - comme dans bien d’autres émissions de débats du même genre - la polémique superficielle, poussée jusqu’à l’affrontement agressif, sinon jusqu’à l’insulte. Je m’étais d’ailleurs dit, apprenant qu’il y avait été invité : « Une fois de plus, que va-t-il faire dans cette galère ? » Or, il est amusant de constater qu’il s’est permis d’y rappeler certains propos admirables de Camus, lorsque celui-ci prônait l’exercice paisible de la disputatio, lorsqu’il suggérait d’entendre l’avis contraire comme une invitation à douter du sien (cf. la conférence prononcée le 15 mars 1945 et publiée dans Actuelles I ; en voici le passage vers lequel Finkielkraut renvoyait, un passage inspiré par le contexte que l’on sait, mais si pertinent aujourd’hui :
« À la haine des bourreaux, a répondu la haine des victimes. Et les bourreaux partis, les Français sont restés avec leur haine en partie inemployée. Ils se regardent encore avec un reste de colère.
Et bien, c’est de cela que nous devons triompher d’abord. Il faut guérir ces cœurs empoisonnés. Et demain, la plus difficile victoire que nous ayons à remporter sur l’ennemi, c’est en nous-mêmes qu’elle doit se livrer, avec cet effort supérieur qui transformera notre appétit de haine en désir de justice. Ne pas céder à la haine, ne rien concéder à la violence, ne pas admettre que nos passions deviennent aveugles, voilà ce que nous pouvons faire encore pour l’amitié et contre l’hitlérisme. Aujourd’hui encore, dans quelques journaux, on se laisse aller à la violence et à l’insulte. Mais alors, c’est à l’ennemi qu’on cède encore. Il s’agit au contraire et pour nous de ne jamais laisser la critique rejoindre l’insulte, il s’agit d’admettre que notre interlocuteur puisse avoir raison et qu’en tout cas ses raisons, même mauvaises, puissent être désintéressées. Il s’agit enfin de refaire notre mentalité politique.
 »
(4) Cf. Émile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, PUF, Quadrige, 1981, pp. 31 et ss., ainsi que les commentaires qu’en donnent Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron in Le métier de sociologue troisième éd. [1968], Mouton, La Haye, 1980, pp. 27-29 et 124-129.
(5) Cette opposition eut le statut de question fondamentale au sein de la philosophie antique grecque, et plus particulièrement au cours des VIe, Ve et IVe siècles avant Jésus-Christ.
(6) Pascal, Pensées, Lafuma, Seuil, 1962, 201, p. 110.
(7) « Le monde n’est qu’une branloire perenne : Toutes choses y branlent sans cesse, la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Ægypte : et du branle public, et du leur. La constance mesme n’est autre chose qu’un branle plus languissant. » (Montaigne, Les Essais, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 2007, pp. 844-845)

dimanche 19 novembre 2017

Note d’opinion : le harcèlement sexuel

À propos du harcèlement sexuel

L’explosion actuelle de témoignages relatifs au harcèlement sexuel donne lieu en ce moment à bien des commentaires. On y dénonce la perpétuation de pratiques dominatrices, traumatisantes et inadmissibles ; on s’y inquiète aussi de la vague de délations et de néo-puritanisme qu’elles suscitent. Il me semble que, dans tout cela, on se préoccupe peu de l’origine première du problème. Le seul article qui m’a paru laisser une place à cet aspect des choses est celui que Nancy Houston a publié le 31 octobre dernier dans le journal Le Monde (1). Je vais y revenir.

En fait, cette question me parait devoir être abordée par ses aspects anthropologiques. Que représente la sexualité dans le fonctionnement des sociétés humaines et dans le comportement des humains ? Dans quelles limites a-t-on souhaité contenir les pulsions sexuelles selon les sociétés et les époques ? Que signifient les multiples usages qui ont guidé et guident encore les rapports sexuels et toutes les approches qu’ils supposent le plus souvent ? Le domaine est bien sûr si vaste qu’il exigerait d’être longuement et rigoureusement exploré, en commençant notamment par les importantes et multiples recherches auxquelles il a déjà donné lieu. En la circonstance, afin d’en venir sans détour à ce qui me paraît essentiel, je voudrais me dispenser de revenir sur ces éclairages que l’on doit à la recherche. Pour qui voudrait mesurer leur importance, je renvoie à ma note du 21 janvier 2003 dans laquelle j’en donne très brièvement quelques exemples (2).

Partons de l’idée que les humains sont des animaux, des animaux porteurs de caractéristiques très spécifiques, mais des animaux quand même. Ils sont donc guidés par des instincts, ce qui signifie que leur comportement doit quelque chose à des consignes non apprises, inscrites dans leur héritage génétique. Il me paraît important de ne pas attribuer à cette composante du comportement une importance exagérée, car celui-ci est également dominé par des déterminations inculquées d’une manière ou d’une autre par le monde social. Ce qui revient à dire que les causes non conscientes du comportement - innées ou acquises, instinctives ou culturelles - sont inextricablement liées aux raisons que - fût-ce illusoirement - l’humain se donne d’agir. Mais il reste que la dimension instinctive est à prendre en considération, notamment en ce qu’elle pousse l’humain dans son comportement d’une manière homologue à ce qu’elle provoque chez les animaux.

Cette assimilation fait fi, bien évidemment, des aspects culturels du problème. Si ce n’est qu’il faut constater que, parmi les animaux, les rapports de pouvoir et de domination entre les sexes se révèlent variés, complexes et même inventifs. Et il serait sans doute hardi de prétendre qu’ils sont ce qu’ils sont parce qu’ils visent exclusivement à satisfaire le désir de reproduction et de conservation de l’espèce.

Ce qui mérite de retenir l’attention, c’est l’aspect différencié du comportement des femelles et des mâles. Car il serait vraiment intéressant de déterminer ce qui, dans cette différenciation, doit quelque chose à l’hérédité et à l’instinct et ce qui relève d’apprentissages et usages, voire du contexte et de l’événement dans sa singularité. Et lorsqu’on envisage la même question à propos des humains, la complexité grandit encore, puisque l’influence culturelle, et par dessus tout les conséquences d’une pensée qui interprète les actes, brouillent la signification profonde des rapports entre les sexes.

Françoise Héritier a disparu ce 15 novembre 2017. Elle avait beaucoup tenté d’élucider ce qui sépare et uni le masculin et le féminin, et elle l’avait fait sans sacrifier à l’air du temps qui voudrait souvent que l’on nie les différences par souci d’égalité (comme lorsqu’on prétend que l’homme et la femme sont totalement pareils) ou que l’on n’accepte celles-ci que sous la forme d’un choix librement réalisé (comme certains adeptes de la théorie du genre l’envisage). Elle pensait que c’est précisément en mesurant bien ce qui différencie les rôles que l’on peut œuvrer à réduire la domination d’un sexe sur l’autre. C’est pour cela qu’elle accordait une très grande importance à l’autonomie de la femme dans le domaine de la sexualité. En 2002, elle écrivait ainsi :
« Quelque chose s’est passé, d’essentiel, dans le monde occidental ces dernières décennies, qui risque de modifier considérablement non seulement les rapports sociaux de sexe qui sont marqués par la domination de l’un sur l’autre mais, à plus long terme et plus profondément, les représentations mentales qui accompagnaient ces rapports et donnaient l’illusion à la fois d’en être le fondement et de les légitimer. Il s’agit du droit à la contraception qui a été accordé aux femmes, en France, par la loi Neuwirth en 1967. Pourquoi accorder à ce droit une importance majeure ? En premier lieu parce qu’il reconnaît ainsi que les femmes ont le droit de disposer d’elles-mêmes et de leur corps. Ce simple droit : disposer de soi-même en disposant de son corps et de l’usage procréatif qui peut en être fait, est la marque élémentaire de l’autonomie qui est propre au statut juridique de personne. Il est intéressant de noter que c’est deux ans auparavant seulement, en 1965, que la loi avait reconnu à toute femme mariée le droit d’avoir une activité professionnelle sans recourir à l’autorisation de son mari. Si j’accorde à la loi Neuwirth une importance plus grande qu’à celle-ci, qui reconnaît pourtant également aux femmes le droit de décider de l’occupation de leur temps par une activité professionnelle ou non, c’est pour une deuxième raison. En effet, si l’on suit mes hypothèses, hiérarchie et domination d’un sexe sur l’autre sont liées au fait que les femmes ont le privilège, incompréhensible intellectuellement aux aubes de l’humanité et jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, non seulement de se reproduire à l’identique mais de produire le différent d’elles-mêmes : les fils des hommes. Des systèmes de représentation de la procréation donnant le rôle essentiel à l’homme puis des systèmes sociaux de répartition des femmes comme épouses et futures mères entre les hommes sont venus à la fois déposséder les femmes de ce privilège et les assigner à ce rôle exclusif. Si telle est bien notre histoire passée de l’humanité, presque en même temps que s’est ouverte devant nos yeux l’intelligence du rôle équitable des deux cellules sexuelles dans la procréation, les lois donnant aux femmes les moyens de régler leur fécondité suppriment définitivement cette unique assignation à la maternité et au domestique qui a été le rôle des femmes dans les esprits comme dans les faits jusqu’à cette seconde partie du XXe siècle. Le droit à la contraception est donc le grand levier historique de changement dans la vie et le statut des femmes et dans les représentations qui les concernent. » (3)

L’incompréhension originaire de la capacité qu’ont les femmes à engendrer le différent, c’est-à-dire des garçons, a-t-elle eu cet effet à ce point déterminant sur la domination masculine ? Il y a, me semble-t-il, dans ce que Françoise Héritier ne cessa jamais d’appeler une hypothèse, un effort pour échapper aux explications dont le simplisme assure, fût-ce inconsciemment, la pérennité de cette domination. Dans un ouvrage de 2009, elle revenait une nouvelle fois sur cette hypothèse en ces termes :
« On a donné bien des explications pour justifier la domination masculine : la nature sui generis des femmes, leur fragilité due aux grossesses, la violence des hommes. À mes yeux, elle tient au fait que les hommes ont dû s’approprier le corps des femmes parce qu’elles faisaient des fils. Remontons à des observations essentielles faites par l’humanité à ses débuts : il faut des rapports sexuels pour que les femmes mettent au monde des enfants (c’est une erreur de croire que des sociétés l’aient ignoré). Les femmes font des enfants des deux sexes. Dans l’ignorance des gamètes, ovules, spermatozoïdes, ce privilège exorbitant est incompréhensible et aiguise la curiosité : pourquoi les femmes ont-elles la capacité de faire, dans leur corps, aussi bien leur semblable, des filles, que du différent, des garçons ? Comme je l’ai déjà dit, c’est l’incapacité des hommes à reproduire directement leur semblable qui est à la base des dépossessions dont ont été victimes les femmes. » (4)

Personnellement, malgré toute l’admiration que j’éprouve envers l’œuvre de Françoise Héritier, je ne suis pas totalement convaincu de la validité de l’hypothèse. Et cela, principalement, parce qu’il y a d’autres différences qui ont pu participer à la fortification du règne masculin. Je pense notamment aux spécificités de la sexualité masculine par rapport à la sexualité féminine. Et c’est là que je reviens à l’article de Nancy Houston.

Ai-je besoin de dire qu’il ne s’agit évidemment pas de trouver la moindre excuse à ceux qui se seraient livrés aux actes aujourd’hui dénoncés ? Mais l’opprobre ne dispense pas d’expliquer. Tout comme il n’y a aucune complicité implicite dans le fait de tenter d’expliquer ce qui pousse les terroristes djihadistes à agir, il n’y en a pas davantage à rechercher ce que la combinaison entre des pouvoirs - voire simplement des circonstances - et des pulsions propres aux mâles est de nature à encourager subtilement.

Usant d’une rhétorique directe, sans le moindre chichi dirais-je, Nancy Houston s’interroge sur « le fait que la bandaison de papa ça ne se commande pas ». Et de poursuivre :
« À la vue d’une partenaire sexuelle potentielle, les jeunes mâles de notre espèce comme de toutes les espèces mammifères ont une érection involontaire. Mais voici le hic : étant une espèce fabulatrice programmée pour tout interpréter, nous percevons chaque événement comme l’effet d’une volonté. Un garçon qui bande en voyant une jolie fille estime que c’est la faute de celle-ci ; qu’“elle l’a bien cherché” en se donnant cette apparence-là. De son côté, la fille - qui, elle, n’a jamais fait l’expérience d’une érection - pense que si le garçon donne libre cours à son désir il en est à cent pour cent responsable, donc blâmable. Le malentendu serait comique s’il ne causait tant de souffrances.
L’érection est le principal problème de l’humanité depuis la nuit des temps. Toutes les religions ont su qu’il était indispensable de la gérer. Chez les monothéistes, la plupart des commandements ne concernent au fond que les garçons : attention, leur avertissent-ils, ne suivez pas votre queue. Les sociétés laïques, soucieuses de liberté, d’égalité et de fraternité, ont négligé de réfléchir là-dessus. Tout en se félicitant des progrès des sciences, elles ont préféré ne pas tenir compte de leurs résultats.
En France aujourd’hui, à force d’ignorer l’animalité (tout en accablant le porc innocent de nos… travers à nous) et de réfléchir exclusivement en termes de pouvoir, de domination, de construction et de mythe, ceux qui analysent le harcèlement sexuel finissent par le rendre incompréhensible. Obnubilés par notre étoile polaire le libre arbitre, certains de pouvoir tout choisir et décider de façon individuelle, on oublie que la sexualité est liée à la survie. Imagine-t-on analyser les pratiques humaines en matière de nourriture sans tenir compte du fait qu’on a besoin de manger pour rester en vie ?
 »

Assurément, tout cela est dit de manière assez carrée ; le billet est d’humeur. Pourtant, il me paraît opportun de rappeler que la sexualité est généralement enfermée dans des règles sociales et que la liberté dont on a pu prétendre la faire bénéficier (je pense aux années 60 et 70) est très illusoire et débouche sur des comportements également stéréotypés, donc contraignants, sans pour autant résoudre la difficulté que représente l’accès à ce que l’on crut bon parfois d’appeler une sexualité épanouie. De rappeler aussi que la sexualité masculine et la sexualité féminine n’obéissent pas à des pulsions calibrées de manière identique et que - pour le dire en visant l’animalité en général, animalité à laquelle l’humanité participe - l’urgence ressentie par les mâles n’a pas toujours d’équivalent chez les femelles. Mais je vais laisser Nancy Houston achever son propos :
« […] tout en parlant liberté, nous avons instauré le double bind comme norme souriante. D’une main, on encourage les femmes à être sujets ; de l’autre, on les pousse de mille manières à se transformer en objets (et elles obtempèrent, hélas, dans les deux sens). D’un côté, on incite les hommes à bander en affichant partout de sublimes jeunes femmes super-sexy en petite tenue ; de l’autre, on leur intime l’ordre de ne pas donner suite à leur émoi.
Notre société est “allumeuse”.
Oui, notre société est “allumeuse” à un point sans précédent dans l’Histoire… et le plus drôle c’est qu’on ne s’en aperçoit même pas ! Les industries du cinéma, de la publicité, des jeux vidéo, des armes à feu, de la beauté, de la pornographie, du régime, etc., manipulent nos désirs et besoins innés (celui des filles d’être belles et celui des garçons d’être forts) et les transforment en addictions. Elles renforcent et reconduisent des clichés qui nous touchent aux tripes pour la bonne raison qu’ils viennent du fond des âges, du fond de la jungle, et que deux petits siècles de concepts “généreux” ne suffisent pas pour défaire des dizaines de millénaires d’évolution. Elles déclarent aux habitants de toutes les villes du monde : Regardez, hein ? ça fait envie, n’est-ce pas ? Pourquoi ce ne serait pas pour vous aussi ? Et ça marche, excitant un désir diffus : indéfiniment frustré, donc renouvelable : Ah ! on peut être un mec comme ça ! une fille comme ça ! il suffit de… Et quand les hommes ont un geste déplacé (que n’auraient pas eu leur père ou leur grand-père, “inhibés” par les commandements religieux et le regard des proches), on leur tombe dessus : Mais enfin ! de quel droit… ?
En clair, en ôtant les freins posés au désir masculin par les structures religieuses “surannées” pour les remplacer par le laisser-faire économique, on n’a pas fait grand-chose d’autre que de démocratiser le droit de cuissage.
Ainsi, même si nous aimons nous pavaner devant le reste du monde en se vantant de notre liberté et en leur reprochant leurs mœurs répressives, nous ne sommes pas libres : ni les filles ni les garçons ; il faut le savoir. La seule chose libre là-dedans, c’est le marché. Il n’est probablement pas très utile de repenser l’éducation sans repenser en même temps la société de consommation, sans critiquer l’instrumentalisation du corps (masculin ou féminin) dans le but de vendre des produits, sans mettre des limites sévères à la tendance qu’ont les mâles alpha à s’arroger éhontément, non seulement les fesses des femelles, mais les ressources de la planète.
 »

En lisant Nancy Houston, je ne puis m’empêcher de repenser à cette contradiction première dans laquelle s’enferma la fin du XVIIIe siècle, qui d’une côté magnifia des idéaux d’égalité et qui de l’autre construisit la logique du laisse-faire économique. Non seulement les humains ne sont nullement libres de leurs choix dès lors qu’ils obéissent à des déterminations qu’ils ignorent, mais encore le sont-ils d’autant moins que ce qui semble leur être offert dans ce qui pourrait être regardé comme une marge de manoeuvre ne fait que renforcer la méconnaissance des conditions dans lesquelles l’incitation sournoise à pencher vers tel ou tel acte se dissimule dans une offre de consommation qui garde les apparences d’une profusion disponible et d’une liberté accordée.

La femme et l’homme sont différents ; leurs sexualités le sont tout autant. C’est probablement ce qui rend malaisée la construction d’un couple. C’est peut-être aussi, parmi d’autres, une des raisons qui incline certains à une homosexualité au sein de laquelle les difficultés liées à ces différences sont évitées, ou plus précisément au sein de laquelle ils trouvent une forme de jeu sexuel qui conjugue souvent des plaisirs analogues.

Il me semble important de distinguer clairement la position de domination qui permet à certains hommes d’imposer leur volonté, y compris lorsque celle-ci n’est en rien compatible avec la morale la plus partagée, des contraintes sexuelles proprement dites, lesquelles peuvent surgir dans des situations exemptes de domination ou en tout cas au cours desquelles la domination est quelquefois très fugace. La domination n’est pas uniquement mise au service des appétits sexuels ; elle représente un phénomène très général et très ancien - qui remonte au moins au néolithique - et sur lequel La Boétie déjà s’était longuement interrogé, notamment au départ de ce constat qu’elle est d’abord et avant tout acceptée, voire prolongée, par ceux qui la subissent :
« Pour ce coup je ne voudrois sinon entendre comm’il se peut faire que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelque fois un tyran seul, qui n’a puissance que celle qu’ils luy donnent ; qui n’a pouvoir de leur nuire, sinon tant qu’ils ont vouloir de l’endurer ; qui ne scauroit leur faire mal aucun, sinon lors qu’ils aiment mieulx le souffrir que lui contredire. » (5)
La question suffit pour que l’on s’interroge : pourquoi tous ceux qui usèrent de leur position dominante pour agresser sexuellement des femmes n’ont-ils pas été contredits par ceux-là qui ont permis à son pouvoir de s’installer, avant même qu’ils en usent dans ce but précis ? L’usage odieux de l’autorité - quelles qu’en soient les formes et les cibles - mérite d’être contrarié, combattu, dénoncé. Et si les raisons qui expliquent la passivité face à ces postures et à ces actes permettent de la comprendre et d’en mesurer l’universalité, il reste peut-être possible de promouvoir l’usage partout et toujours d’une révolte parmi les plus justifiées, une révolte qui n’aurait d’autre objectif que de faire honte à ceux qui prétendraient s’assurer une puissance ou un caprice qui dépassent de quelque façon que ce soit les responsabilités qui leur ont été reconnues.

Quant au harcèlement sexuel, irréductiblement lié à des désirs masculins et féminins fort souvent inconciliables, il serait peut-être opportun d’en favoriser la réduction par une mise en garde systématique des garçons. L’éjaculation préventive reste le meilleur moyen de réduire la tension qui porte aux inconduites et il serait probablement opportun d’en recommander et d’en déculpabiliser l’usage. Je me suis laissé raconter - j’ignore si c’est vrai - que, lors du Congrès de Vienne, Talleyrand quittait chaque soir ses collaborateurs par cette recommandation : « Rendez-vous demain matin dispos, rasés, décrassés et branlés. » Il savait trop ce qui peut distraire des objectifs premiers.

(1) Nancy Houston, “Le marché a démocratisé le droit de cuissage” in Le Monde, 31 octobre 2017, p. 20.
(2) Puis-je attirer plus particulièrement l’attention sur ce que je rapportais alors des recherches que Irving Goffman a consacrées à l’oeillade, lesquelles ne conduisent pas à réduire le problème aujourd’hui tant débattu au consentement et moins encore au oui et au non qui pourraient en être l’expression ?
(3) Françoise Héritier, Masculin/féminin II, Odile Jacob, 2002, pp. 391-392.
(4) Françoise Héritier, Une pensée en mouvement, Odile Jacob, 2009, pp. 106-107.
(5) Ètienne de La Boétie, Le discours de la servitude volontaire, Èd. Payot, 1993, pp. 104-105.

mercredi 11 octobre 2017

Note de lecture : Montesquieu

Discours prononcé à la rentrée du Parlement de Bordeaux le 11 novembre 1725
par Montesquieu


CéCédille (1) me rappelait récemment cette phrase que Montesquieu prête à Usbek dans Les lettres persanes : « jusqu'à ce qu'un homme ait lu tous les livres anciens, il n'a aucune raison de leur préférer les nouveaux » (2). On ne lit plus guère Les lettres persanes ; c’est bien dommage, car outre une écriture qui ravit, c’est un texte qui allie merveilleusement sagacité et ironie. On a fait de Montesquieu ce juriste qui se serait borné à prôner la séparation des pouvoirs, négligeant ainsi de s’y plonger et d’y découvrir un homme d’une toute autre trempe. Même en ce qui concerne la séparation des pouvoirs, combien il serait utile de retourner lire ce qu’il en dit, afin de s’apercevoir que c’est autrement subtil que ce que l’on se plaît souvent à en dire. Et même dans ce qu’il nous a laissé de plus juridique, on ne peut que se réjouir des propos qu’il tenait.

En 1714, alors âgé de 25 ans, Montesquieu devint conseiller au Parlement de Bordeaux. Et deux ans plus tard, par héritage, il obtint la charge de président à mortier - quelque chose comme le premier président -, ce qui lui valut de prononcer des discours de rentrée. On a conservé celui de 1725 (3) ; d’autres aussi peut-être, je l’ignore. Celui de 1725 fut probablement le dernier, puisqu’il vendit sa charge en 1726 pour se consacrer aux voyages et à l’écriture.

Discours obligé, contraint, l’exercice du discours de rentrée peut néanmoins fortement varier, selon bien des critères conscients ou inconscients. En l’occurrence, Montesquieu avait choisi d’évoquer comment un magistrat peut satisfaire cette « vertu essentielle, qui est la justice, qualité sans laquelle il n’est qu’un monstre dans la société, et avec laquelle il peut être un très mauvais citoyen » (p. 393). Et pour être sûr que ses admonestations, ses craintes et ses soupçons atteignent leur but, il commença par écarter de son propos les « grandes corruptions » :
« Que celui d’entre nous qui aura rendu les lois esclaves de l’iniquité de ses jugements périsse sur l’heure ! Qu’il trouve en tout lieu la présence d’un Dieu vengeur, et les puissances célestes irritées ! Qu’un feu sorte de dessous terre, et dévore sa maison ! Que sa postérité soit à jamais humiliée ! Qu’il cherche son pain, et ne le trouve pas ! Qu’il soit un exemple affreux de la justice du ciel, comme il en a été un de l’injustice de la terre !
C’est à peu près ainsi, messieurs, que parlait un grand empereur ; et ces paroles si tristes, si terribles, sont pour vous pleines de consolation.
 » (p. 393)
De quoi allait-il donc entretenir ses pairs ?
« je ne parlerai précisa-t-il que des accessoires qui peuvent faire que cette justice abondera plus ou moins » (pp. 393-394).

Mais avant même d’évoquer ces « accessoires », Montesquieu insiste sur un point sur lequel il reviendra dans De l’esprit des lois (4) : la nécessaire compétence des magistrats, auquel un quelconque quidam ne peut se substituer. La raison en est notamment :
« […] qu’on a eu à démêler des grands intérêts, et des intérêts presque toujours cachés ; que la bonne foi ne s’est réservé que quelques affaires de peu d’importance, tandis que l’artifice et la fraude se sont retirés dans les contrats : nos codes se sont augmentés ; il a fallu joindre les lois étrangères aux nationales ; le respect pour la religion y a mêlé les canoniques ; et les magistratures n’ont plus été le partage que des citoyens les plus éclairés.
Les juges se sont toujours trouvés au milieu des pièges et des surprises, et la vérité a laissé dans leur esprit les mêmes méfiances que l’erreur.
L’obscurité du fond a fait naître la forme. Les fourbes, qui ont espéré de pouvoir cacher leur malice, s’en sont fait une espèce d’art ; des professions entières se sont établies, les unes pour obscurcir, les autres pour allonger les affaires ; et le juge a eu moins de peine à se défendre de la mauvaise foi du plaideur, que de l’artifice de celui à qui il confiait ses intérêts.
Pour lors, il n’a plus suffi que le magistrat examinât la pureté de ses intentions ; ce n’a plus été assez qu’il pût dire à Dieu,
Proba me, Deus, et scito cor meum [“sonde-moi ô Dieu et connais mon cœur”, Psaume 139 - 23 ; N.D.R.] ; il a fallu qu’il examinât son esprit, ses connaissances et ses talents ; il a fallu qu’il se rendit compte de ses études, qu’il portât toute sa vie le poids d’une application sans relâche ; et qu’il vît si cette application pouvait donner à son esprit la mesure de connaissances et le degré de lumières que son état exigeait. » (p. 394)

Venons-en aux accessoires. Montesquieu en cite trois : « il faut [que la justice] soit prompte, qu’elle ne soit point austère, et enfin qu’elle soit universelle » (p. 394). Qu’est-ce que cela veut dire ?

Prompte, d’abord.
« Souvent l’injustice n’est pas dans le jugement, elle est dans les délais ; souvent l’examen a fait plus de tort qu’une décision contraire. Dans la constitution présente, c’est un état que d’être plaideur ; on porte ce titre jusqu’à son dernier âge ; il va à la postérité ; il passe, de neveux en neveux, jusqu’à la fin d’une malheureuse famille. » (p. 395)
On mesure là la réputation que valait à quiconque le fait d’être mêlé à un procès, à une époque où rares étaient ceux dont c’était le sort. Mais c’est loin d’être le seul effet de la durée des procédures, selon Montesquieu.
« Autrefois les gens de bien menaient devant les tribunaux les hommes injustes ; aujourd’hui ce sont les hommes injustes qui y traduisent les gens de bien. Le dépositaire a osé nier le dépôt, parce qu’il a espéré que la bonne foi craintive se lasserait bientôt de le demander en justice ; et le ravisseur a fait connaître à celui qu’il opprimait, qu’il n’était point de sa prudence de continuer à lui demander raison de ses violences.
On a vu (ô siècle malheureux !) des hommes iniques menacer de la justice ceux à qui ils enlevaient leurs biens, et apporter pour raison de leurs vexations la longueur du temps, et la ruine inévitable à ceux qui voudraient les faire cesser. Mais quand l’état de ceux qui plaident ne serait point ruineux, il suffirait qu’il fût incertain pour nous engager à le faire finir. Leur condition est toujours malheureuse, parce qu’il leur manque quelque sûreté du côté de leurs biens, de leur fortune, de leur vie.
 » (p. 395)

Qu’elle ne soit point austère ensuite.
« […] indépendamment de l’humanité, la bienséance et l’affabilité, chez un peuple poli, deviennent une partie de la justice ; et un juge qui en manque pour ses clients commence dès lors à ne plus rendre à chacun ce qui lui appartient. Ainsi, dans nos mœurs, il faut qu’un juge se conduise envers les parties de manière qu’il leur paraisse bien plutôt réservé que grave, et qu’il leur fasse voir la probité de Caton, sans leur en montrer la rudesse et l’austérité.
J’avoue qu’il y a des occasions où il n’est point d’âme bienfaisante qui ne se sente indignée. L’usage qui a introduit les sollicitations semble avoir été fait pour éprouver la patience des juges qui ont du courage et de la probité. Telle est la corruption du cœur des hommes, qu’il semble que la conduite générale soit de la supposer toujours dans le cœur des autres.
 » (p. 396)

Qu’elle soit universelle, enfin.
Qu’est-ce à dire ?
« Un juge ne doit pas être comme l’ancien Caton, qui fut le plus juste sur son tribunal, et non dans sa famille. La justice doit être en nous une conduite générale. Soyons justes dans tous les lieux, justes à tous égards, envers toutes personnes, en toutes occasions.
Ceux qui ne sont justes que dans le cas où leur profession l’exige, qui prétendent être équitables dans les affaires des autres lorsqu’ils ne sont pas incorruptibles dans ce qui les touche eux-mêmes, qui n’ont point mis l’équité dans les plus petits événements de leur vie, courent risque de perdre cette justice même qu’ils rendent sur le tribunal. Des juges de cette espèce ressemblent à ces monstrueuses divinités que la Fable avait inventées, qui mettaient bien quelque ordre dans l’univers, mais qui, chargées de crimes et d’imperfections, troublaient elles-mêmes leurs lois, et faisaient rentrer le monde dans tous les dérèglements qu’elles en avaient bannis.
Que le rôle de l’homme privé ne fasse donc point de tort à celui de l’homme public : car dans quel trouble d’esprit un juge ne jette-t-il point les parties, lorsqu’elles lui voient les mêmes passions que celles qu’il corrige, et qu’elle trouve sa conduite répréhensible comme celle qui a fait naître leurs plaintes ! “S’il aimait la justice, diraient-elles, la refuserait-il aux personnes qui lui sont unies par des liens si doux, si forts, si sacrés, à qui il doit tenir par tant de motifs d’estime, d’amour, de reconnaissance, et qui peut-être ont mis tout leur bonheur entre ses mains ?”
Les jugements que nous rendons sur le tribunal peuvent rarement décider de notre probité ; c’est dans les affaires qui nous intéressent particulièrement que notre cœur se développe et se fait connaître ; c’est là-dessus que le peuple nous juge ; c’est là-dessus qu’il nous craint et qu’il espère de nous. Si notre conduite est condamnée, si elle est soupçonnée, nous devenons soumis à une espèce de récusation publique ; et le droit de juger que nous exerçons est mis, par ceux qui sont obligés de le souffrir, au rang de leurs calamités.
 » (p. 396-397)

Je ne le dissimulerai pas : c’est pour son souhait d’une justice curieusement qualifiée d’universelle (alors même qu’elle incite à se préoccuper du proche, du local, du voisin) que j’ai voulu donner un écho à ce discours de Montesquieu. Car ce qu’il nous dit là dépasse très largement selon moi le contexte judiciaire. Qu’il soit permis de s’interroger sur les préceptes moraux - lesquels se révèlent variés et changeants selon les lieux et les époques - ne nous dispense pas d’apprécier de quelle façon chacun respecte ceux qu’il proclame reconnaître tels. Or, il est fréquent que ceux-là mêmes qui sont en situation de proclamer haut et clair leur attachement à tel ou tel précepte moral (ou à telle loi prescriptive) soient aussi ceux qui en réservent la pratique à leur seule vie publique, se donnant licence d’agir en les méprisant dans l’intimité de leurs proches ou dans le secret d’un comportement masqué. Ce décalage entre le discours et le comportement est rarement appréhendé à sa juste importance, car il caractérise notamment une des constantes de la politique. Dire des généralités bien-pensantes rapporte des profits en terme d’image et de réputation, y compris quand celle-ci procède également d’une généralisation qui suppose que qui veut le plus ne faillit pas pour le moins.

On me dira qu’on ne peut préjuger de l’hypocrisie et que l’exaltation d’une bienveillance universelle ne camoufle pas ipso facto la malveillance pratique envers les proches. C’est évident. Mais il reste que la générosité du discours révolutionnaire fleurit volontiers dans la bouche de gens dont on sait qu’ils furent souvent secrètement indignes. Et aussi que la réserve conservée par ceux qui répugnent à étaler de grands sentiments dissimule tout aussi souvent une générosité de fait très active.

Toute la difficulté provient du fait que les revendications pour une justice collective s’imposent dès lors que l’injustice fait des ravages, alors même que leur expression n’est pas souvent le fait de personnes justes. Jean-Jacques Rousseau en a témoigné, alors qu’il s’exprimait à propos de ce qu’il appela le cosmopolitisme. Il dénonce celui-ci dans le livre I de l’Émile :
« Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu'ils dédaignent de remplir autour d'eux. Tel philosophe aime les Tartares pour être dispensé d'aimer ses voisins. » (5)
Il confirme ainsi ce qu'il disait déjà dans la première version du Contrat social :
« Par où l'on voit ce qu'il faut penser de ces prétendus Cosmopolites, qui justifiant leur amour pour la patrie par leur amour pour le genre humain, se vantent d'aimer tout le monde pour avoir droit de n'aimer personne.  » (6)
Mais, dans le Discours sur l’inégalité, il exaltait au contraire ce même cosmopolitisme :
   « Le droit civil étant ainsi devenu la règle commune des Citoyens, la Loy de Nature n'eut plus lieu qu'entre les diverses Sociétés, où, sous le nom de Droit des gens, elle fut tempérée par quelques conventions tacites pour rendre le commerce possible et suppléer à la commisération naturelle, qui, perdant de Société à Société presque toute la force qu'elle avoit d'homme à homme, ne réside plus que dans quelques grandes Ames Cosmopolites, qui franchissent les barrières imaginaires qui séparent les Peuples, et qui, à l'exemple de l'être souverain qui les a créés, embrassent tout le genre humain dans leur bienveillance.  » (7)

Il y a sans doute dans tout cela une mesure de l’incompréhension à laquelle chacun et tous devraient se résigner, de telle sorte que si ce qui est vraiment compris est infime, l’immense domaine de ce que l’on croit su pourra être renvoyé à sa vraie nature : l’ignorance.

(1) CéCédille est le pseudonyme d’un blogueur qui en dit peu sur lui-même, mais tant et tant sur le reste. C’est ainsi que la toile permet de tisser des liens dont l’écrit est le seul vecteur, générant des amitiés si ténues par bien des côtés et si fortes par d’autres. À qui est curieux de mes préférences, je recommande d’aller sur son blog principal intitulé Diacritiques. Il tient deux autres blogs : l’un consacré aux Violations de la Constitution, l’autre à La bicyclette considérée comme l’un des beaux arts. Si vous vous embêtez sur ce blog-ci - ce qui me semble bien compréhensible -, allez donc vous désennuyer sur l’un de ceux-là. Et si votre choix vous conduit vers Les violations de la Constitution, sachez que la thèse de doctorat de l’intéressé, qui porta sur cette question, est accessible ici.
(2) Montesquieu, “Les lettres persanes”, in Œuvres complètes, tome troisième, Librairie Hachette et Cie, 1874, p. 128.
(3) Montesquieu, Œuvres complètes Tome deuxième, Hachette et Cie, 1873, pp. 393-400.
(4) « Telle est la différence entre la démocratie réglée et celle qui ne l’est pas, que, dans la première, on n’est égal que comme citoyen, et que, dans l’autre, on est encore égal comme magistrat, comme sénateur, comme juge, comme père, comme mari, comme maître. » (Montesquieu, “De l’esprit des lois” in Œuvres complètes tome premier, Librairie Hachette et Cie, 1873, pp. 221.
(5) Jean-Jacques Rousseau, “Émile ou de l'éducation”, in Œuvres complètes , t. IV, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1969, p. 249.
(6) Jean-Jacques Rousseau, “Du Contrat social ou Essai sur la forme de la république (première version)”, in Œuvres complètes , t. III, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1964, p. 287.
(7) Jean-Jacques Rousseau, “Discours sur l'origine et les fondemens de l'inégalité parmi les hommes”, in Œuvres complètes , t. III, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1964, p. 178.

lundi 18 septembre 2017

Note de lecture : Lucien François

Le problème de l’existence de Dieu et autres sources de conflits de valeurs
de Lucien François


A priori, il faut se réjouir que soient publiés des livres qui plaident pour que le raisonnement rationnel retrouve dans l’univers de la pensée une place qui lui a été victorieusement contestée depuis plusieurs décennies. Et s’il s’agissait de conforter le camp de la rationalité au détriment de celui des adeptes des explications irrationnelles, il n’y aurait aucune hésitation à avoir : le livre de Lucien François (1) mériterait d’être salué comme une saine réaction qu’il convient d’approuver.

Mais il s’agit moins de choisir un camp que de s’interroger sur les voies qui permettent de démêler le vrai du faux (2). Or, il y a place pour un usage rationnel de la raison qui en corrige ses propres dérives. Parmi celles-ci, il y a le sentiment que des arguments rationnels donnent à l’opinion que l’on partage la couleur de la vérité, même si ce n’en est jamais que la couleur. Et c’est ce que je voudrais expliquer, en me fondant sur l’un ou l’autre exemples puisés dans ce livre.

Il n’y a quasi rien des opinions que Lucien François défend que je ne puis partager. Et je trouve même que plusieurs d’entre elles sont bonnes à exposer dans le contexte d’aujourd’hui. Mais une opinion vaut par les raisons qui la justifient. Et c’est à ce niveau que commence mon désaccord. Car si un argument irrationnel se suffit à lui-même et doit craindre d’être contrarié, l’argument rationnel - quant à lui - se doit d’accepter le péril d’une mise en cause, faute de quoi il pourrait fort bien secourir un constat erroné. C’est que le réel est changeant et n’a avec la raison - même avec la raison - d’autre lien que celui qu’on lui prête. Montaigne déjà en faisait la remarque :
« Pour juger des apparences que nous recevons des subjets, il nous faudroit un instrument judicatoire : pour verifier cet instrument, il nous y faut de la demonstration : pour verifier la demonstration, un instrument : nous voilà au rouet. Puis que les sens ne peuvent arrester nostre dispute, estans pleins eux-mesmes d’incertitude, il faut que ce soit la raison ; aucune raison ne s’establira sans une autre raison : nous voylà à reculons jusques à l’infiny. » (3)
Et il ajoutait :
« Finalement, il n’y a aucune constante existence, ny de nostre estre, ny de celuy des objects : Et nous, et nostre jugement, et toutes choses mortelles, vont coulant et roulant sans cesse : Ainsin il ne se peut establir rien de certain de l’un à l’autre, et le jugeant et le jugé, estans en continuelle mutation et branle. Nous n’avons aucune communication à l’estre, par ce que toute humaine nature est tousjours au milieu entre le naistre et le mourir, ne baillant de soy qu’une obscure apparence et ombre, et une incertaine et debile opinion. Et si, de fortune, vous fichez vostre pensée à vouloir prendre son estre, ce sera ne plus ne moins que qui voudroit empoigner l’eau : car tant plus il serrera et pressera ce qui de sa nature coule par tout, tant plus il perdra ce qu’il vouloit tenir et empoigner. Ainsi feu que toutes choses sont subjectes à passer d’un changement en autre, la raison qui y cherche une reelle subsistance, se trouve deceue, ne pouvant rien apprehender de subsistant et permanant : par ce que tout ou vient en estre et n’est pas encore du tout, ou commence à mourir avant qu’il soit nay. » (4)

Soyons nous-mêmes mesurés : il ne s’agit pas de mettre Lucien François en procès, mais seulement d’attirer l’attention sur quelques arguments qui - selon moi - desservent les opinions défendues en ce qu’ils trahissent davantage le désir d’avoir raison que celui d’élucider les raisons de chacun. Et soyons modestes : j’exprime une façon de voir qui repose elle-même sur un doute quelque peu systématique (5) que l’on peut très raisonnablement dénoncer. Il ne me paraît néanmoins pas inutile de s’y arrêter un instant, ne serait-ce que pour évoquer ce que je me permettrai d’appeler un abus de logique.

Il est évidemment important de chercher à être logique et cohérent. Mais il faut, je crois, se garder d’attribuer à la logique des vertus qu’elle n’a pas. Il ne suffit pas, en effet, de raisonner de façon logique pour prétendre avoir un accès clairvoyant au réel et moins encore pour se forger des certitudes. L’agencement harmonieux des représentations que l’on se fait des faits et la cohérence des jugements que l’on porte sur eux ne garantissent en aucune façon une opinion juste. Tout au plus leur absence et leurs défaillances permettent-elles de douter plus que jamais des opinions les moins argumentées

Disant tout cela, je semble donner des leçons. Assurément pas. Je me contrains simplement à justifier l’étonnement dans lequel m’ont plongé certains des raisonnements que Lucien François utilise pour faire valoir son point de vue, un point de vue que par ailleurs - je l’ai déjà dit - je partage pour l’essentiel.

J’irai d’emblée à ce qui m’a porté au comble de l’étonnement.

Dans ce qu’il appelle les « aspects pratiques » du problème de l’existence de Dieu, Lucien François se propose « d’user d’arguments de bon sens », puis « d’indiquer les raisons pour lesquelles [il croit] utile d’inciter le public à en discuter et de multiplier ainsi les échanges entre personnes de convictions différentes. » (pp. 23-24) Or, alors qu’il expose ce qu’il appelle les « aspects théoriques » du même problème, c’est-à-dire les « problèmes logiques » (p. 14), il écrit ceci :
« […] certains noms propres au sens grammatical ne sont pas des noms propres logiques mais seulement, comme dit Bertrand Russel, des “descriptions déguisées”. Ainsi “Homère” ne nomme généralement pas un individu dont l’existence nous est connue mais, par raccourci, un concept, à savoir celui d’auteur, quel qu’il soit, de l’Iliade et de l’Odyssée. C’est d’une façon analogue qu’il faut entendre le mot Dieu car il ne peut fonctionner comme nom propre authentique, en tout cas dans un débat entre croyants et non croyants, pas plus qu’il n’y aurait de sens à désigner un objet à un aveugle en le lui montrant du doigt. Le croyant pour qui “Dieu” serait un nom propre au sens logique présupposerait l’existence de Dieu et ne pourrait donc prétendre débattre avec un sceptique, qui ne partage pas le même présupposé. Un tel débat n’est possible qu’en passant par un concept : la question “croyez-vous en Dieu ?” n’a de sens que si le vocable “Dieu” est, comme “Homère”, au lieu d’un nom propre authentique, le simple nom de code d’un concept que l’on peut définir. » (pp. 19-20 ; c’est moi qui souligne)

Pourquoi diable Lucien François décide-t-il que le « croyant pour qui “Dieu” serait un nom propre au sens logique présupposerait l’existence de Dieu et ne pourrait donc prétendre débattre avec un sceptique » ? Je crains que ce soit parce qu’il juge que celui-ci se révèle hermétique à la logique. Mais qu’en est-il ? Que celui-là ne puisse approuver sa logique, c’est probable. Cependant, rien ne permet d’affirmer qu’il n’use pas de la logique sur la base de prémisses différentes, voire qu’il estime que la question n’est pas une affaire de logique. Est-ce suffisant pour l’exclure du débat ? Celui-ci risque en ce cas de ne rassembler que des incroyants et des croyants sur le point de perdre leur foi.

Mes objections pourraient sembler spécieuses, j’en suis conscient. Aussi vais-je imaginer la posture possible d’un croyant qui se veut respectueux de la logique, comme de la raison.

Est-il déraisonnable de considérer que le monde est opaque et que les efforts qu’il est possible de faire pour en élucider la nature et son fonctionnement n’aboutiront dans le meilleur des cas qu’à des approximations très partielles, peu aptes à satisfaire tout désir d’en connaître le fin mot ? Probablement pas. Dès lors, compte tenu du caractère éphémère de la vie et de l’incapacité dans laquelle tout un chacun se trouve de lui donner un sens en rapport avec ce que l’on peut en savoir, il existe de bonnes raisons d’entretenir le désir de vivre en adhérant à une conception qui ne doit rien ni au réel, ni à quelqu’expérience que ce soit, ni davantage au moindre raisonnement fondé sur des faits, mais qui, au contraire, doit tout à la volonté de croire. Bien loin d’être le résultat d’hypothèses plus ou moins fragiles et bien loin aussi d’être la conclusion de quelque argumentation déductive ou inductive que la raison pourrait ébranler, cette conception choisit d’acquiescer non pas à une théorie, à une hypothèse ou à je ne sais quelle conjecture, mais à un dessein qui, à tout le moins, assouvira le désir de vivre. Le credo des croyants peut donc être autre chose que l’affirmation d’une croyance justifiable. Il peut quelquefois être la déclaration d’une volonté de croire en dépit de toute autre considération. Et cette posture n’a rien de déraisonnable ; elle obéit même à une logique qu’il serait malaisé de prendre en défaut. En pareil cas, Dieu n’est pas une hypothèse, ni une « description déguisée », moins encore un « présupposé » ; c’est bel et bien un « nom propre authentique » qui désigne celui à qui il est volontairement choisi de s’en remettre.

Ai-je besoin de le dire, je ne partage pas ce credo. Mais je me garderai bien de l’accuser d’irrationalisme ou d’illogisme. Il me suffit de considérer qu’il me paraît possible de vivre sans ce remède et que le caractère volontaire de l’adhésion qu’il suppose pourrait n’être qu’une illusion. (6)

La foi de Lucien François en la logique me semble quelquefois le conduire à s’imaginer que ce qui ne s’aligne pas sur celle qu’il développe en serait dépourvu. Le passage que je me suis permis de commenter n’en est pas le seul signe. Dans une note en bas de page, il range parmi ce qu’il appelle « des monstres logiques » la définition suivante : « est un être ou phénomène surnaturel celui qui a lieu alors que son apparition n’est pas possible sous l’empire des seules lois de la nature » (p. 22). Si cette définition semble contenir une contradiction, c’est parce qu’elle use de mots (être, phénomène) habituellement liés à une appartenance au tout, c’est-à-dire à la nature, alors même que ce qu’ils désignent échapperait à celle-ci. Mais le sens de la définition n’a en lui-même rien de contradictoire, puisqu’il s’agit précisément d’évoquer des choses ou des événements suscités par une cause qui n’appartient pas au monde réel, telle une puissance divine. Nul n’est bien sûr contraint de croire à l’existence de pareils êtres ou phénomènes, mais il serait bien malaisé de démontrer leur impossibilité absolue. La définition n’est donc en rien un monstre logique ; elle rend compte d’une hypothèse que bien des esprits - dont je suis - préfèrent ne pas admettre la validité.

Un dernier exemple : alors qu’il envisage d’ébranler l’argument selon lequel l’existence de Dieu se déduirait de la nécessité que tout ait une cause, à commencer par le monde lui-même, Lucien François affirme : « Personne n’a jamais vu une cause. » (c’est moi qui souligne) Et d’ajouter : « C’est notre esprit qui en suppose l’intervention pour s’expliquer ce que nous voyons. » (p. 14) Aurait-il décidé de battre en brèche tous les concepts abstraits dont la pensée use - la sienne davantage que le commun, peut-être - pour être formulée ? Ou aborderait-il ainsi la question philosophique de la causalité qui a déjà fait couler tant et tant d’encre ? Voici ce qu’il objecte à l’argument discuté :
« […] cet être [Dieu], lui, ne serait pas causé : la nécessité invoquée ne serait donc pas absolue. Quant à soutenir qu’il n’avait pas à être causé ou qu’il s’est causé lui-même (causa sui), s’il est logiquement possible de dire cela de lui, pourquoi de lui seulement ? De plus, si les sciences raisonnent comme si tout avait une ou plusieurs causes, qu’elles cherchent à découvrir, ce n’est peut-être là, précisément, qu’un comme si : un présupposé utile pour démêler les relations qui sont entre les choses. Ne suffit-il pas de se demander, pour chaque fait, s’il en est d’autres auxquels il apparaît comme toujours lié et de quelle manière se présente cette relation ? »
Mais enfin, la relation d’un fait avec d’autres, n’est-ce pas une bonne définition de la cause ? Comment ne pas supposer que cette charge contre la causalité n’a d’autre fonction que de contester le caractère logique d’un argument avancé par certains de ceux qui croient ? (7)

Il ne me semble pas contestable que les croyances religieuses, comme bien d’autres d’ailleurs, charrient énormément d’irrationalité, une irrationalité dont elles se plaisent souvent à faire l’éloge, ne serait-ce qu’implicitement. Mais, pour autant, la foi n’est pas par nature irrationnelle. Vouloir établir l’illogisme de la foi rappelle bougrement toutes ces argumentations qui, jadis, s’efforcèrent de démontrer l’irrationalité de l’athéisme. Je me garderai de prétendre que personne n’a jamais vu une logique. Simplement, j’incline à croire que pour défendre les outils conceptuels qui fondent ce que l’on appelle la raison, il ne faut pas leur attribuer des vertus heuristiques qui favorisent nos opinions. Il convient plutôt d’accepter que ces outils fragilisent nos habitudes de pensée.

(1) Lucien François, Le problème de l’existence de Dieu et autres sources de conflits de valeurs, Académie royale de Belgique, Coll. Académie de poche, 2017.
(2) Je dois à Lucien François de préférer cette expression à toutes celles qui usent du mot vérité pour définir l’objectif.
(3) Montaigne, Les Essais, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 2007, p. 638.
(4) Ibid., p. 639.
(5) En exergue du chapitre de son livre consacré au “problème de l’existence de Dieu”, Lucien François cite Renan : « Le doute est un hommage que l’on rend à la vérité » (p. 13). Sauf le respect que je porte à Renan, comme à Descartes d’ailleurs, il s’agit en l’occurrence - précisément comme chez Descartes - d’un doute qui s’exerce à l’égard de ce que l’on juge faux et qui cautionne d’une certaine manière ce que l’on juge vrai. Le doute montanien est d’une autre force, car il s’oblige à déranger ce qui est cru vrai.
(6) Le problème de l’existence d’une volonté chez l’homme me semble plus inextricable encore que celui de l’existence de Dieu. Mais il s’agit là d’une opinion personnelle qui ne vaut pas argument dans l’examen que je me permets des propos de Lucien François. Il vaudrait dans un débat avec des croyants, débat qui selon moi ne devrait supporter aucune exclusive et aurait pour bénéfice non pas de convaincre les divers adversaires, mais plutôt de permettre à chacun de faire son profit des arguments des autres.
(7) La rationalité et la logique ont très longtemps servi à étayer la thèse de l’existence de Dieu. Saint Anselme et Descartes, pour n’évoquer que les plus connus de ceux qui crurent fonder l’existence de Dieu en raison, n’ont pas failli à la logique. Ils l’ont mise au service d’une hypothèse qui avait leur préférence. Et c’est aussi le cas de Philon d’Alexandrie ou de Maître Eckhart - peut-être davantage encore - en ce qu’ils ont poussé la cohérence jusqu’à évoquer Dieu par le biais de ce qu’il n’est pas.


Autres notes sur Lucien François :
« Que pense l’équipage ? » de Marc Jacquemain in Le droit sans la justice.
Préface au Cap des tempêtes
À propos des faits et des valeurs

samedi 2 septembre 2017

Note de lecture : Madame de Staël

De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales
de Madame de Staël


À La Pléiade vient d’être publiée une nouvelle édition, établie par Catriona Seth et Valérie Cossy, de quelques ouvrages de Madame de Staël (1). Bien que le volume soit intitulé Œuvres, il semble appeler une suite puisqu’il n’en contient que trois : De la littérature, Delphine et Corinne ou l’Italie.

Parlant de la période postérieure à la Renaissance, Madame de Staël écrit notamment ceci :
« La connaissance des langues anciennes, qui a ramené le véritable goût de la littérature, inspira pendant quelque temps une ridicule fureur d’érudition. Le présent et l’avenir furent comme anéantis par le puéril examen des moindres circonstances du passé. Des commentaires sur les ouvrages des Anciens avaient pris la place des observations philosophiques ; il semblait qu’entre la nature et l’homme, il dût toujours exister des livres. Le prix qu’on attachait à l’érudition était tel, qu’il absorbait en entier l’esprit créateur. Tout ce qui concernait les Anciens obtenait alors un égal degré d’intérêt ; on eût dit qu’il importait bien plus de savoir que de choisir. » (2)
La remarque est sans doute assez pertinente. Elle vise une certaine manière d’ériger en puits de science ceux qui, dans le passé, auraient pu comprendre ce qu’aujourd’hui on ne comprend plus. C’est contre quoi se sont par exemple insurgé Montaigne, Galilée et Descartes lorsque, chacun à leur façon, ils rejetèrent l’aristotélisme.

Reste que les livres anciens peuvent souvent nous en apprendre davantage, notamment sur le présent, que ne peuvent le faire les livres d’aujourd’hui. D’abord parce qu’ils sont d’une qualité aisément identifiable ; mais surtout parce qu’ils nous donnent à voir un rapport à son époque dont nous pouvons mieux mesurer la subtilité, puisque nous sommes bien moins aveugle à l’air du temps des périodes passées que nous le sommes à celui du temps présent. Et sur ce point, Madame de Staël illustre précisément très bien le profit que nous pouvons tirer d’une lecture d’un auteur du passé, dès lors qu’il s’agit moins de lui donner tort ou raison que de rechercher ce qui a pu le pousser à défendre tel ou tel point de vue et à trahir ainsi une manière de penser qui, pour beaucoup, doit quelque chose à un nombre non négligeable de ses contemporains.

Il me semble que c’est dans cet esprit qu’il convient de lire De la littérature dans ses rapports avec les institutions sociales (3), dont le projet à lui seul indique un souci, à certains égards assez nouveau au moment de sa publication en 1800, de tracer les contours d’une relation entre deux aspects de la réalité sociale. Madame de Staël, dont l’érudition n’était pas mince, n’a cessé de réfléchir aux évolutions qui ont marqué les manières de penser, ce qui aurait en quelque sorte fait d’elle une sociologue avant la lettre si elle n’avait pas mis tant d’acharnement à démontrer, par la constance des progrès dont témoignent l’histoire de la littérature, la perfectibilité de l’esprit humain. Continuatrice à certains égards de Montesquieu, elle n’en a sans doute pas égalé le génie, car, là où elle sut se contraindre à rechercher ce que toute pensée devait à son contexte historique, elle n’a pas résisté à plaider en faveur de déterminations qui confortaient son souci de repérer les signes d’un progrès que rien ne devait jamais entraver. Même les passions participent selon elle aux avancées de la civilisation, quand bien même leur premier effet déboucherait sur une apparente bien qu’éphémère régression.

Je voudrais donner un bref aperçu de ces efforts que Madame de Staël s’inflige pour ne rien céder qui puisse mettre en péril sa conception de la perfectibilité de l’esprit humain. Et il n’est sans doute pas de meilleur occasion d’en mesurer l’ingéniosité que lorsqu’elle évoque le Moyen Âge dans le chapitre VIII de la première partie, un chapitre intitulé De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne et de la renaissance des lettres (4). Il n’est sans doute pas inutile de rappeler qu’elle raisonne évidemment de manière intuitive, sans guère soumettre ses raisonnements à de véritables vérifications factuelles, ce qui est d’usage à l’époque où elle écrit.

Commençons par l’écouter dépeindre la chute de Rome :
« Il est de certaines époques de l’histoire, dans lesquelles l’amour de la gloire, la puissance du dévouement, tous les sentiments énergiques, enfin, semblent ne plus exister. Quand l’infortune est générale dans un pays, l’égoïsme est universel, une portion quelconque de bonheur est un élément nécessaire de la force nationale, et l’adversité n’inspire du courage aux individus atteints par elle, qu’au milieu d’un peuple assez heureux, pour avoir conservé la faculté d’admirer ou de plaindre. Mais quand tous sont également frappés par le malheur, l’opinion publique ne soutient plus personne : il reste des jours, mais il n’y a plus de but pour la vie. On perd en soi-même toute émulation, et les plaisirs de la volupté deviennent le seul intérêt d’une existence sans gloire, sans honneur et sans morale ; tel on nous peint l’état des hommes du Midi sous les chefs du Bas-Empire. » (5)

On peut aujourd’hui s’étonner des enchaînements nécessaires que Madame de Staël imagine entre les conditions matérielles de vie et les sentiments qui conditionnent les progrès de l’esprit, et davantage encore, peut-être, entre ces sentiments et les progrès espérés. C’est notamment qu’elle accorde au politique une importance prépondérante dans l’évolution. Ainsi, est assez éclairante la réflexion qu’elle formule à propos du rapport qu’elle croit apercevoir entre le Moyen Âge et la Révolution française :
« Les nobles, ou ceux qui tenaient à cette première classe, réunissaient en général tous les avantages d’une éducation distinguée ; mais la prospérité les avait amollis, et ils perdaient par degrés les vertus qui pouvaient excuser leur prééminence sociale. Les hommes de la classe du peuple, au contraire, n’avaient encore qu’une civilisation grossière, et des mœurs que les lois contenaient, mais que la licence devait rendre à leur férocité naturelle. Ils ont fait, pour ainsi dire, une invasion dans les classes supérieures de la société, et tout ce que nous avons souffert, et tout ce que nous condamnons dans la révolution, tient à la nécessité fatale qui a fait souvent confier la direction des affaires à ces conquérants de l’ordre civil. Ils ont pour but et pour bannière une idée philosophique ; mais leur éducation est à plusieurs siècles en arrière de celle des hommes qu’ils ont vaincus. Les vainqueurs, à la guerre et dans l’intérieur, ont plusieurs caractères de ressemblance avec les hommes du Nord, les vaincus beaucoup d’analogies avec les lumières et les préjugés, les vices et la sociabilité des habitants du Midi. Il faut que l’éducation des vainqueurs se fasse, il faut que les lumières qui étaient renfermées dans un très petit nombre d’hommes s’étendent fort au-delà, avant que les gouvernants de la France soient tous entièrement exempts de vulgarité et de barbarie. L’on doit espérer que la civilisation de nos hommes du Nord, que leur mélange avec nos hommes du Midi, n’exigera pas dix à douze siècles. Nous marcherons plus vite que nos ancêtres, parce qu’à la tête des hommes sans éducation il se trouve quelquefois des esprits remarquablement éclairés, parce que le siècle où nous vivons, la découverte de l’imprimerie, les lumières du reste de l’Europe doivent hâter les progrès de la classe nouvellement admise à la direction des affaires politiques ; mais on ne saurait prévoir encore par quel moyen la guerre des anciens possesseurs et des nouveaux conquérants sera terminée. » (6)

Un premier mouvement, à la lecture de cet extrait, nous porterait facilement à contredire certaines affirmations qui négligent par exemple de tenir compte des liens existant sans doute entre la bonne éducation et la domination, entre le rapport à la culture et les pouvoirs économiques, entre le succès des meneurs et leurs concessions à la « vulgarité » et à la « barbarie », bref à tout ce qui conforte commodément le mouvement par lequel s’accomplirait le perfectionnement de l’esprit humain. Mais ne serait-ce pas là projeter sur la pensée de Madame de Staël ce que notre propre pensée doit à notre temps, précisément sans qu’il soit assuré que notre temps connaîtrait un esprit humain plus parfait que celui du tournant des XVIIIe et XIXe siècles ? Ce que nous prenons pour des progrès de la pensée - à l’instar de ce qu’elle prenait elle-même pour des progrès - n’est-il pas d’abord et avant tout fait d’une sorte d’adaptation à un contexte des façons de penser, jusqu’aux plus sophistiquées, aux plus élaborées, aux plus surveillées ? Ce contexte, fait d’un mélange d’infrastructure et de superstructure (pour le dire comme Marx), ne pousse-t-il pas à voir comme vrai ce qui justifie le réel appréhendé et le réel comme ce qui compte ?

Lorsqu’elle évoque l’émergence du christianisme à un moment où certains furent conduits à y voir une des causes de l’effondrement de la civilisation romaine (7), elle va chercher en quoi cette religion a pu - indépendamment des doutes et des errements que ses dogmes et son histoire ont pu susciter - participer à la progression des esprits. Elle écrit :
« La religion chrétienne exige aussi l’abnégation de soi-même, et l’exagération monacale pousse même cette vertu fort au-delà de l’austérité philosophique des Anciens ; mais le principe de ce sacrifice dans la religion chrétienne, c’est le dévouement à son Dieu ou à ses semblables, et non, comme chez les stoïciens, l’orgueil et la dignité de son propre caractère. En étudiant le sens de l’Évangile, sans y joindre les fausses interprétations qui en ont été faites, on voit aisément que l’esprit général de ce livre, c’est la bienfaisance envers les malheureux. L’homme y est considéré, comme devant recevoir une impression profonde par la douleur de l’homme. » (8)

En quoi pareille compassion a-t-elle pu permettre aux esprits de gagner en grandeur ? Bien sûr, Rousseau - que Madame de Staël a lu avec attention - la considérait comme un ressort essentiel de l’âme humaine. Mais peut-elle pour autant jouer un rôle moteur dans l’évolution de l’esprit humain, puisque c’est de cela qu’elle veut nous convaincre ? Oui, pense-t-elle, les passions peuvent jouer ce rôle :
« Le paganisme, tolérant par son essence, est regretté par les philosophes, quand ils le comparent au fanatisme que la religion chrétienne a inspiré. Quoique les passions fortes entraînent à des crimes, que l’indifférence n’eût jamais causés, il est des circonstances dans l’histoire, où ces passions sont nécessaires pour remonter les ressorts de la société. La raison, avec l’aide des siècles, s’empare de quelques effets de ces grands mouvements ; mais il est de certaines idées que les passions font découvrir, et qu’on aurait ignorées sans elles. Il faut des secousses violentes pour porter l’esprit humain sur des objets entièrement nouveaux ; ce sont les tremblements de terre, les feux souterrains, qui montrent au regard de l’homme des richesses, dont le temps seul n’eût pas suffi pour creuser la route. » (9)

Et c’est alors qu’elle explicite d’une façon pour le moins astucieuse de quelle façon certains détours de l’histoire qui laisseraient aisément penser qu’ils constituent des éclipses dans l’évolution de l’esprit humain se révèlent en réalité des chemins utiles à celle-ci. Voici :
« Je crois voir une preuve de plus dans cette opinion [le rôle des passions ; N.D.R.], dans l’influence qu’a exercée sur les progrès de la métaphysique l’étude de la théologie. On a souvent considéré cette étude comme l’emploi le plus oisif de la pensée, comme l’une des principales causes de la barbarie des premiers siècles de notre ère. Néanmoins c’est un genre d’effort intellectuel, qui a singulièrement développé les facultés de l’esprit. Si l’on ne juge le résultat d’un tel travail, que dans ses rapports avec les arts d’imagination, rien ne peut nous en donner une idée plus défavorable. La noblesse, l’élégance, la grâce des formes antiques semblaient devoir disparaître à jamais, sous les pédantesques erreurs des écrivains théologiques. Mais le genre d’esprit qui rend propre à l’étude des sciences, se formait par les disputes sur les dogmes, quoique leur objet fût aussi puéril qu’absurde.
L’attention et l’abstraction sont les véritables puissances de l’homme penseur ; ces facultés seules peuvent servir au progrès de l’esprit humain. L’imagination, les talents qui en dérivent ne raniment que les souvenirs ; mais c’est uniquement par la méthode métaphysique qu’on peut atteindre aux idées vraiment nouvelles. Les dogmes spirituels exerçaient les hommes à la conception des pensées abstraites ; et la longue contention d’esprit, qu’exigeait l’enchaînement des subtiles conséquences de la théologie, rendait la tête propre à l’étude des sciences exactes. Comment se fait-il, dira-t-on, qu’approfondir l’erreur puisse jamais servir à la connaissance de la vérité ? C’est que l’art du raisonnement, la force de méditation qui permet de saisir les rapports les plus métaphysiques, et de leur créer un lien, un ordre, une méthode, est un exercice utile aux facultés pensantes, quel que soit le point d’où l’on part et le but où l’on veut arriver.
Sans doute, si les facultés développées dans ce genre de travail n’avaient point été depuis dirigées sur d’autres objets, il n’en fût résulté que du malheur pour le genre humain ; mais quand on voit, à la renaissance des lettres, la pensée prendre tout à coup un si grand essor, les sciences avancer en peu de temps d’une manière si étonnante, on est conduit à croire que, même en faisant fausse route, l’esprit acquérait des forces, qui ont hâté ses pas dans la véritable carrière de la raison et de la philosophie.
 » (10)

Si la combinaison d’idées que Madame de Staël développe ainsi lui est propre, les idées elles-mêmes sont, pour l’essentiel, une synthèse spécifique de la position qu’elle occupe alors, au lendemain de la Révolution, à l’aube du romantisme, dans la frange progressiste d’une petite bourgeoisie embourgeoisée par les succès du père et ennoblisée par le mariage, parisienne de naissance attachée à ses racines genevoises, pénétrée par une éducation protestante, émerveillée par les Lumières et touchée déjà par la sensibilité, la spiritualité, le goût de l’histoire, les épanchements intimes qui seront la marque d’un courant littéraire puissant de la première moitié du XIXe siècle. Loin de moi l’idée qu’il me soit possible de caractériser précisément cette position ; tout au plus puis-je en suggérer les principaux parfums. D’ailleurs, l’essentiel n’est sans doute pas là.

Ce qui me semble important, c’est de maîtriser la réaction que suscite en nous une lecture comme celle-là. Non pas qu’il s’agisse de s’interdire tout jugement au motif d’une objectivation (d’ailleurs impossible) des opinions découvertes, mais bien de mesurer ce que notre réaction doit à tout ce qui nous domine à notre insu, quitte à persister néanmoins dans une opinion dont on aura su qu’elle nous appartient bien peu. Il y a chez Madame de Staël une confiance en les rapports qu’elle croit découvrir entre les hommes qui trahit une conviction assise sur la subtilité d’analyse qu’elle se prête. Ainsi en va-t-il de ce rôle qu’elle attribue à l’élite de la connaissance et à la masse des ignorants au sein même d’une sorte de collaboration ignorée qui participe de l’heureuse évolution de l’esprit humain. Elle écrit :
« Quelques hommes peuvent se livrer par goût à l’étude des idées abstraites ; mais le grand nombre n’y est jamais jeté que par un intérêt de parti. Les connaissances politiques avaient fait de grands progrès dans les premières années de la révolution française, parce qu’elles servaient l’ambition de plusieurs, et agitaient la vie de tous. Les questions théologiques, dans leur temps, avaient été l’objet d’un intérêt aussi vif, d’une analyse aussi profonde, parce que les querelles qu’elles faisaient naître étaient animées par l’avidité du pouvoir et la crainte de la persécution. Si l’esprit de faction ne s’était pas introduit dans la métaphysique, si les passions ambitieuses n’avaient pas été intéressées dans les discussions abstraites, les esprits ne s’y seraient jamais assez vivement attachés, pour acquérir, dans ce genre difficile, tous les moyens nécessaires aux découvertes des siècles suivants.
Ainsi marche l’instruction pour la masse des hommes. Quand les opinions que l’on professe sur un ordre d’idées quelconque, deviennent la cause et les armes des partis, la haine, la fureur, la jalousie parcourent tous les rapports, saisissent tous les côtés des objets en discussion, agitent toutes les questions qui en dépendent ; et lorsque les passions se retirent, la raison va recueillir, au milieu du champ de bataille, quelques débris utiles à la recherche de la vérité.
 » (11)

À y trop regarder ce qui heurte nos propres convictions, et avant tout celles que nos contemporains partagent tant et tant qu’ils ne les voient plus comme des convictions mais plutôt comme du bon sens, nous loupons le rapport autrement intéressant qui unit celles-là aux autres que l’époque a suscitées et qui est susceptible de révéler une histoire fortement débarrassée du chronocentrisme le plus commun. Mais aussi, à y chercher ce que la pensée de Madame de Staël doit à son contexte, nous nous armons pour mieux comprendre ce que le présent a de spécifique et de quelle façon il est susceptible de nous enjoindre de voir comme une vérité universelle ce qui n’est qu’une opinion très temporaire.

(1) L’habitude fut prise de l’appeler Madame, au point qu’il paraîtrait quelque peu cavalier de dire Germaine de Staël.
(2) Madame de Staël, Œuvres, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 2017, p. 105.
(3) Madame de Staël, Op. cit., pp. 1-303.
(4) Op. cit., pp. 94-107.
(5) Op. cit., p. 95.
(6) Op. cit., pp. 99-100.
(7) Edward Gibbon publia son Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain de 1776 à 1788. À noter que Gibbon s’inspira en partie de l’ouvrage de Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, que celui-ci avait publié en 1734. À noter aussi, mais il s’agit là d’un fait dont je ne sais trop ce qu’il faut lui faire dire, que Gibbon fut très amoureux de la mère de Madame de Staël, alors que celle-ci n’avait pas encore épousé Jacques Necker.
(8) Madame de Staël, Op. cit., pp. 102.
(9) Op. cit., p. 103.
(10) Op. cit., pp. 103-104.
(11) Op. cit., pp. 104-105.

vendredi 23 juin 2017

Note d’opinion : le bilan des révolutions

À propos du bilan des révolutions

Jean Birnbaum a interviewé Alain Badiou et leurs échanges ont été publiés par le journal Le Monde (1) sous le chapeau suivant : « L’héritage révolutionnaire reste vivace. Plusieurs parutions en attestent, tel le nouveau volume du séminaire d’Alain Badiou, “Que signifie ‘changer le monde’ ?”. Le philosophe revient sur ce qui le lie à cette espérance. » Au sein de cette interview, deux questions et leurs réponses ont particulièrement retenu mon attention, parce qu’elles témoignent bien de ce coup de force dont usent certains intellectuels lorsqu’ils imposent des antécédents implicites à leurs affirmations, les rendant malaisément contestables. Ce dont je ne vais cependant pas me priver.

La première de ces deux questions est la suivante : « Dans votre séminaire, vous dites que la “propagande dominante” impose aux révolutions un “couvre-feu” mémoriel qui les rend incompréhensibles. Ne pensez-vous pas que les héritiers de ces révolutions ont aussi une part de responsabilité, eux qui rechignent souvent à faire le bilan ? »

Remarquons immédiatement la prudence de Birnbaum (qui veut sans doute éviter d’emblée le clash). Il évoque un bilan qui n’est pas fait par certains des héritiers, sans aller jusqu’à dire platement qu’il en est qui pratiquent le négationnisme, comme c’est le cas de Badiou (2).

Et voici la réponse : « Qu’appelez-vous un “héritier” des révolutions ? Il me semble que ce doit être quelqu’un qui continue, au-delà des échecs et des reniements, la politique de ses prédécesseurs. Mais que voit-on, alors ? Tout le léninisme procède d’un bilan de la Commune de Paris, que Marx avait déjà commencé. Et la vie politique de Mao se fonde sur des bilans critiques successifs de tout l’appareillage révolutionnaire de son époque : critique de la IIIe Internationale, quand il comprend que la voie insurrectionnelle urbaine est vouée à l’échec et qu’il faut se déployer dans les campagnes ; critique virulente de Staline, quand il voit que la figure du développement économique imposée à l’URSS est devenue étrangère à toute orientation communiste ; critique révolutionnaire de son propre parti, qu’il voit s’engager, précisément, dans le sillage de l’URSS. Évidemment, la réaction demande toujours que son “bilan” intégralement négatif des révolutions, ramenées en général à des crimes absurdes, qu’il s’agisse de Robespierre, de Lénine, de Staline ou de Mao, soit partagé par tous. Mais, en définitive, ce sont les révolutionnaires et eux seuls qui proposent le vrai bilan des révolutions. »

Voilà qui ne manque pas d’habileté, dès lors qu’il s’agit d’accorder à Lénine et à Mao des qualités de visionnaire et des souhaits altruistes. Mais enfin, soyons réalistes ! Quoi qu’il ait écrit, peut-on croire que Lénine, une fois au pouvoir, fut guidé par une analyse critique de la Commune de Paris ? À moins que ce que Badiou vise ne soit rien d’autre que la poursuite d’une critique faite par Marx (ne dit-il pas que celui-ci en a commencé le bilan ?), lequel considérait que les “Parisiens” s’étaient montrés « trop gentils » (3). Quant à Mao, la notion de « bilans critiques successifs » qui lui est appliquée serait savoureuse si elle ne visait pas les différentes tentatives par lesquelles Mao a imaginé des plans politiques aussi féroces qu’ineptes en vue de conserver son propre pouvoir dictatorial. Mais ce sont surtout deux bouts de phrase qui, selon moi, cristallisent la fourberie intellectuelle de Badiou, d’abord lorsqu’il dit que Mao «  comprend que la voie insurrectionnelle urbaine est vouée à l’échec et qu’il faut se déployer dans les campagnes », ensuite lorsqu’il prête au même d’avoir vu « que la figure du développement économique imposée à l’URSS est devenue étrangère à toute orientation communiste »

Il fut un temps où la vulgate marxiste, forte d’une aura de scientificité que lui conférait ce qui fut appelé matérialisme dialectique et matérialisme historique, laissait entrevoir un futur au cours duquel la classe ouvrière (les salariés) prendrait le pouvoir pour, dans un premier temps, instaurer leur propre dictature en vue d’éliminer les classes bourgeoises (antérieurement propriétaires des moyens de production) et, dans un deuxième temps, organiser le dépérissement de l’État afin d’accéder au communisme. La caution de Marx, qui fut à bien des égards un chercheur lucide, servit à donner un poids énorme à ce fatum, une prophétie pourtant très étrange, puisqu’elle impliquait autant la certitude de son issue que la nécessité du combat propre à la garantir. Aujourd’hui que ce mirage (4) est dissipé, il convient d’en revenir, je crois, à des questions beaucoup plus pratiques, telles celles que posèrent auparavant des auteurs comme Machiavel, La Boétie ou Montesquieu. Il ne fut jamais rien dit sur ce que pourrait ou aurait pu être le communisme dans sa phase finale. Comment les humains en seraient-ils venus à se comporter vertueusement ou, à tout le moins, d’une façon qui satisfasse les conditions auxquelles est nécessairement subordonnée la collectivisation des biens de production et une juste répartition des biens de consommation ? Comment, pour arriver à ce résultat, la dictature préalable aurait-elle pu renoncer spontanément à son pouvoir ? Bref, comment tout cela aurait-il pu être rendu possible de telle sorte que la prise du pouvoir par ceux qui se proclament les représentants de la classe des vrais producteurs ne soit qu’une hégémonie temporaire et désintéressée ? Le mystère qui planait sur l’oméga enchanté auquel l’humanité était promise nourrissait une foi en ceux qui s’en faisaient les théoriciens, de telle sorte que nombreux furent ceux qui supposaient que ceux-là en connaissaient les conditions d’avènement là où eux-mêmes avaient tant de mal à les apercevoir.

C’est bien ce coup-là que Badiou nous rejoue ! Les stratégies dont Mao usa sont évoquées d’une façon qui permet de supposer qu’il ne les a choisies que parce qu’elles traçaient un chemin - du moins l’espérait-il - vers les objectifs finaux de la Révolution : «  la voie insurrectionnelle urbaine est vouée à l’échec », d’où « il faut se déployer dans les campagnes » ; le développement économique imposé à l’URSS est devenu étranger « à toute orientation communiste ». Comment mieux laisser entendre que Mao restait digne de confiance dans la lutte pour le communisme, pendant que Staline, à partir de 1960, voit ses erreurs comprises par Mao comme la conséquence d’un oubli du chemin vers le communisme ? Birnbaum n’a pas jugé utile d’évoquer les raisons purement militaires qui sont à l’origine du choix de la voie paysanne par Mao, ni davantage les doutes qui peuvent saisir celui à qui on raconte que la distance prise par Mao vis-à-vis de l’URSS tenait à une orientation insuffisamment efficace vers le communisme.

Venons-en à la deuxième question, formulée immédiatement après la première et énoncée comme suit : « “Crimes absurdes”, dites-vous. Pourtant, il est des philosophes, comme Claude Lefort, qui ont considéré que toute perspective d’émancipation demeure vaine tant que les gauches n’ont pas affronté sérieusement la question totalitaire, à commencer par les crimes staliniens… ou maoïstes. »

Cette fois, Birnbaum met enfin les pieds dans le plat. Il faut dire que Badiou parlait du bilan des révolutions ramené « en général à des crimes absurdes » par la réaction. Or, encore une fois, le mot est rusé : absurdes peut signifier que les crimes ont bien eu lieu, mais qu’ils n’étaient pas adaptés à l’objectif révolutionnaire, tout comme il peut vouloir dire que leur existence même n’est qu’absurdement affirmée.

Et voici la réponse de Badiou : « Le mot “totalitaire” résume le pauvre, le faux bilan, proposé par nos maîtres et leurs serviteurs intellectuels, des grandes révolutions du XXe siècle, voire de toute la séquence ouverte par la Révolution française. De quelle “totalité” unifiée se soutenaient Staline et Trotski, ou Mao et Liu Shaoqi, alors qu’il s’agissait clairement, dans ces conflits, d’une lutte entre deux voies stratégiques quant au devenir de ces États dits socialistes, l’une en direction de leur consolidation perpétuelle, l’autre dans la direction communiste de leur dépérissement ? Quel “totalitarisme” quand une de ces voies repose sur la police et sur l’armée, l’autre sur des mobilisations de la jeunesse et des ouvriers dont la dimension démocratique, divisée, multiforme, est sans précédent dans l’histoire ? Pour faire le bilan des violences en pays socialistes, il faut partir d’un éclaircissement de la contradiction majeure entre voie capitaliste et voie communiste dans les conditions totalement inédites de l’existence de ces États, et certainement pas de catégories comme “totalité” et “crimes”, qui n’ont pas d’autre visée ni d’autre usage que de liquider l’hypothèse communiste et d’installer un sinistre consensus autour du capitalisme mondialisé. »

Cette fois, le déni est flagrant ! Faisant mine de donner au mot totalitaire un sens qui s’approche de celui de totalité et ignorant ainsi superbement le sens aujourd’hui généralement admis (5), voici Badiou cherchant à nous montrer que les mésententes au sein des dirigeants communistes prouvent à suffisance qu’il ne s’agissait pas de totalitarisme. Ce qui lui donne en outre l’occasion de nous révéler que l’un des protagonistes au moins se battait pour qu’advienne ce si mystérieux dépérissement de l’État dont le communisme est attendu. Avouons que cela nous avait effectivement échappé ! Et sachons-le, les catégories de “totalité” et “crimes” (admirez le recours à la notion de catégorie) sont irrelevantes : tout qui en use ne désigne pas des faits, mais trahit son intention de nuire à l’idée communiste.

Je pose la question : est-il acceptable qu’un journaliste donne le moindre écho à des propos pareils, fussent-ils prononcés par quelqu’un qui jouit d’une réputation largement reconnue, une réputation qui n’est d’ailleurs pas sans lien avec la partialité outrancière de ses prises de position ? Si cela avait été dit par un quelconque passant, et avec des mots moins ondoyants, le propos n’aurait même pas été noté ou enregistré. Ou alors, compte tenu de l’événement que Badiou a réussi à créer dans le cadre du Théâtre de la Commune à Aubervilliers et qui à ce titre mérite peut-être d’être rapporté, ne fallait-il pas joindre à ces réponses un commentaire qui en dénonce le caractère mensonger ? La catégorie “mensonges” vaut ici d’être utilisée, sans même qu’il soit question de liquider l’hypothèse communiste, laquelle mérite après tout mieux qu’une glorification inexcusable de son passé.

(1) Le Monde des Livres, 23 juin 2017, pp. 2-3.
(2) Je n’en veux pour preuve que ces propos éhontés que rapportait Simon Leys dans un article publié en août 2009 : « S’agissant de figures comme Robespierre, Saint-Just, Babeuf, Blanqui, Bakounine, Marx, Engels, Lénine, Trotski, Rosa Luxemburg, Staline, Mao Tsé-toung, Chou En-lai, Tito, Enver Hoxha, Guevara et quelques autres, il est capital de ne rien céder au contexte de criminalisation et d’anecdotes ébouriffantes dans lesquelles depuis toujours la réaction tente de les enclore et de les annuler. »
(3) Cf. la lettre à Kugelmann de Marx du 17 avril 1871 (accessible ici) et le chapitre II de La guerre civile en France [30 mai 1871] (accessible ici).
(4) Auquel je n’ai pas été insensible dans ma jeunesse.
(5) « Qui fonctionne sur le mode du parti unique interdisant toute opposition organisée ou personnelle, accaparant tous les pouvoirs, confisquant toutes les activités de la société et soumettant toutes les activités individuelles à l'autorité de l’État. » (CNRTL)