mardi 29 décembre 2015

Note de lecture : Emmanuelle Loyer

Lévi-Strauss
de Emmanuelle Loyer


À mes yeux, le premier mérite de la biographie de Claude Lévi-Strauss écrite par Emmanuelle Loyer (1), c’est d’offrir à comprendre les liens étroits existant entre le déroulement d’un vie et l’évolution de la pensée qui l’accompagne. Que le XXe siècle ait pu voir éclore en son sein un esprit tel le sien témoigne de ce que, malgré ces bien sombres opinions qui l’ont déterminé et auxquelles nous devons tant d’horreurs, il y eut aussi de quoi inspirer des efforts pour mettre au centre de toute préoccupation, de toute réflexion et de toute action le seul élément stable de la condition dont la pensée est sortie : la vie. Dans un discours prononcé en 1962, Lévi-Strauss disait ceci :
« Dans ce monde plus cruel à l’homme, peut-être, qu’il fut jamais ; où sévissent tous les procédés d’extermination, les massacres et la torture, jamais désavoués sans doute, mais dont nous nous complaisions à croire qu’ils ne comptaient plus simplement parce qu’on les réservait à des populations lointaines qui les subissaient, prétendait-on, à notre profit, et en tout cas, en notre nom ; maintenant que, rapprochée par l’effet d’un peuplement plus dense qui rapetisse l’univers et ne laisse aucune portion de l’humanité à l’abri d’une abjecte violence, pèse sur chacun de nous l’angoisse de vivre en société ; c’est maintenant, dis-je, qu’exposant les tares d’un humanisme décidément incapable de fonder chez l’homme l’exercice de la vertu, la pensée de Rousseau peut nous aider à rejeter une illusion dont nous sommes, hélas, en mesure d’observer en nous-mêmes et sur nous-mêmes les funestes effets. Car n’est-ce pas le mythe de la dignité exclusive de la nature humaine, qui a fait essuyer à la nature elle-même une première mutilation, dont devait inévitablement s’ensuivre d’autres mutilations.
On a commencé par couper l’homme de la nature, et par le constituer en règne souverain : on a cru ainsi effacer son caractère le plus irrécusable, à savoir qu’il est d’abord un être vivant. Et, en restant aveugle à cette propriété commune, on a donné champ libre à tous les abus. Jamais mieux qu’au terme des quatre derniers siècles de son histoire, l’homme occidental ne put-il comprendre qu’en s’arrogeant le droit de séparer radicalement l’humanité de l’animalité, en accordant à l’une tout ce qu’il retirait à l’autre, il ouvrait un cycle maudit, et que la même frontière, constamment reculée, servirait à écarter des hommes d’autres hommes, et à revendiquer, au profit de minorités toujours plus restreintes, le privilège d’un humanisme, corrompu aussitôt né pour avoir emprunté à l’amour-propre son principe et sa notion.
 » (2)

Il y a dans ce texte une forme de sagesse à laquelle je n’ai cessé d’adhérer toujours davantage, comme si les dérives du monde le plus contemporain - celui dont Lévi-Strauss en vint à dire dans ses vieux jours qu’il n’était plus le sien - en confirmaient la grande pertinence, comme si aussi le refus sceptique de la métaphysique qu’il suppose m’apparaissait plus que jamais pertinent. Devrais-je schématiser ma propre conception des problèmes ainsi soulevés, je dirais ceci : l’homme est un animal qui ne vaut ni plus ni moins que n’importe quel autre animal ; le langage qui structure sa pensée lui vaut autant - sinon davantage - d’inconvénients que d’avantages et ne le prédispose nullement à une hauteur morale que les autres animaux incorporent d’autant plus aisément qu’ils ne se posent pas cette question, qu’elle leur est inconnue ; l’humanisme né au XVIe siècle - en réaction contre la fides implicita de la scolastique aristotélicienne - a propagé des idées de liberté de pensée, de rationalité, de tolérance et de curiosité qui n’ont cependant pas mis l’humanité à l’abri de la barbarie, bien au contraire ; ce constat désolant s’explique par le caractère illusoire des mérites et qualités dont l’homme s’est ainsi prévalu et par l’évolution technique et démographique qu’a engendrée cette curiosité nouvelle ; l’autre n’a pas à être collectivement jugé dans ses différences, faute de quoi on en vient vite à le traiter comme ce lombric regardé comme répugnant sur lequel on met le pied.

Lévi-Strauss - l’histoire de sa vie le révèle - a nourri cette conception des choses alors qu’il se distanciait de la politique et de la métaphysique. Le livre de Loyer fournit l’occasion de le vérifier.

Commençons par le politique. La question est d’importance parce que l’on entend aujourd’hui affirmer que les Français souffrent d’une crise du politique, une crise en rapport avec l’avènement d’une société dépolitisée (3). La méfiance généralisée qui accable les responsables politiques en serait le symptôme le plus flagrant. Et comment alors ne pas s’interroger sur le rôle des intellectuels qui ont les premiers déserté le politique ? Interroger à ce sujet en 1989, Lévi-Strauss énonce sans détour ce qui l’a conduit à pareille attitude. À la question « Vous semblez fuir tout ce qui a trait à la politique » , il répond : « Oui, je le fuis. J’ai beaucoup fait de politique à la SFIO étant jeune. Mais je me suis trompé à double titre. Premièrement avec l’idée qu’il suffisait de bien raisonner et d’avoir les idées claires pour concevoir et réaliser la société idéale. Deuxièmement, j’étais pacifiste en 1938. Quand on s’est trompé à ce point là, il n’y a plus qu’une chose à faire : se taire pour le restant de sa vie. » (4)

Emmanuelle Loyer pense néanmoins que sa posture n’est pas aussi radicale que ces propos pourraient le laisser penser :
« […] peut-être qu’il ne faut pas croire Lévi-Strauss lorsqu’il affirme avoir renié son socialisme de jeunesse et définitivement quitté l’arène politique. […] Lévi-Strauss est moins en retrait de la politique qu’il ne contribue à reconfigurer l’espace du politique à un autre niveau. Certes, il n’est pas un intellectuel “engagé” et se refuse à l’être. Cette démarcation spectaculaire avec le grand modèle du temps implique, chez lui, une nouvelle manière de penser l’articulation entre le politique et le savant, tributaire du bouleversement apporté depuis un siècle par l’arrivée de nouvelles sciences de l’homme dans le champ de la pensée politique. Une certaine “pudeur” l’éloigne également de la posture revendicatrice et prophétique de l’intellectuel, une réticence à expliciter tous les enjeux et les conséquences de ses thèses, un certain sens de l’énigme et de la référence voilée. Face au modèle, de fait aristocratique, qui institue la représentation par une minorité autoproclamée (les intellectuels) des opinions de la majorité, Lévi-Strauss promeut une manière d’être savant dans la Cité beaucoup plus démocratique et plus confiante dans la capacité de jugement de ses membres. Souvent consulté, il prend soin de ne jamais parler au nom de personne.
Intellectuel activement “désengagé”, l’ethnologue “intervient” moins par la signature en bas de manifestes que par la grenade explosive que l’enquête ethnographique lui permet de dégoupiller à l’encontre d’un humanisme satisfait qui devient sa principale cible.
 » (pp. 587-588)
Citant la longue interview donnée à Didier Eribon en 1988 au cours de laquelle Lévi-Strauss avoue : « […] je ne me sens pas responsable du salut de mes contemporains » (5), Loyer poursuit :
« Défection scandaleuse, et caractéristique du refus épidermique de Lévi-Strauss de parler au nom de qui que ce soit. C’est évidemment un désaveu net de la qualité de l’intellectuel tel qu’il s’est constitué à la fin du XIXe siècle comme médiateur des fins de l’Histoire, comme défenseur du juste et du bien, et plus tard, comme représentant privilégié des opprimés. Toute cette histoire héroïque largement française, de Voltaire à Sartre, en passant par Zola, Lévi-Strauss la balaie d’une revers de main » (p. 589)
Et elle cite cet autre extrait de l’interview d’Eribon :
« J’estime que mon autorité intellectuelle, dans la mesure où on m’en reconnaît une, repose sur la somme de travail , sur les scrupules de rigueur et d’exactitude, qui font que, dans des domaines limités, j’ai peut-être acquis le droit qu’on m’écoute. Si je m’en prévaux pour juger des questions que je ne connais pas ou que je connais mal, je commets un abus de confiance. » (6)

On sait combien l’ethnologie fut souvent complice de la colonisation avant de basculer majoritairement, dès les années 50, dans l’anticolonialisme.
« Là encore, Lévi-Strauss se distingue au sein de sa discipline. Avec Race et histoire, il a rompu avec la logique de la “mission civilisatrice” et le soubassement intellectuel du colonialisme de façon bien plus éclatante que n’importe quelle signature de pétition ne le permettra jamais. Et pourtant, s’il n’est pas du côté des anciens colons, il se méfie des nouveaux États émergents de l’indépendance, imbus d’une notion de progrès qu’il a critiquée, et sans doute plus hostiles encore à ses propres populations “arriérées”. C’est pourquoi, durant toute cette période, tout en étant lu comme un auteur profondément en phase avec les luttes de la décolonisation, il s’abstient de tout soutien et de toute prise de position publique : “ Il y a là un contresens…” » (p. 595)
« Il y a là un contresens » est le début d’une citation que je ne reproduis pas telle que Loyer la livre, parce qu’elle l’ampute d’une partie fort importante à mes yeux. Voici l’extrait tel qu’il me semble utile d’en fixer le début et la fin pour qu’il conserve tout son sens :
« D.E. : Vos travaux et notamment les textes que nous venons de mentionner [Race et histoire et Tristes tropiques] ont souvent été interprétés comme parallèles aux mouvements de décolonisation. Qu’en pensez-vous ?
C.L.-S. : Je lis cela de temps à autre. J’ai même lu récemment que le succès de
Tristes tropiques était lié à la montée du tiers-mondisme. Il y a là un contresens. Les sociétés dont je prenais la défense ou dont je m’efforçais d’être le témoin sont encore plus menacées par le tiers-mondisme qu’elles ne l’étaient par la colonisation. Les gouvernements des pays qui ont conquis leur indépendance après la dernière guerre n’ont aucune bienveillance envers les cultures dite attardées qui existent encore en leur sein. Il y a une seconde raison dont l’aveu vous paraîtra peut-être cynique : je ne me penche pas sur des hommes, mais sur des croyances, des coutumes et des institutions. Je défends donc ces petits peuples qui entendent rester fidèles à leur mode de vie traditionnel, à l’écart des conflits qui divisent le monde moderne. Ceux qui sortent de cet état et prennent parti dans nos conflits posent des problèmes politiques et même géopolitiques ; chacun sait qu’en cette matière, les cas de conscience se situent rarement d’un seul côté.
D.E. : Vous vous méfiez davantage du tiers-mondisme que de la colonisation ?
C.L.-S. : Le colonialisme fut le péché majeur de l’Occident. Toutefois, sous le rapport de la vitalité et de la pluralité des cultures, je ne vois pas qu’avec sa disparition on ait fait un grand bond en avant.
 » (7)

« je ne me penche pas sur des hommes, mais sur des croyances, des coutumes et des institutions » ! Cette phrase - que Loyer n’a pas jugée utile de conserver - a évidemment l’apparence d’une provocation. Mais, en fait, elle indique très clairement ce qui motive principalement les explications qui précèdent et, plus généralement, la distance prise avec la politique, fût-elle géopolitique. C’est que la préoccupation principale de Lévi-Strauss est de tenter d’expliquer le fonctionnement de l’esprit humain. Rappelons-nous ce qu’il écrivait dans le “Finale” de L’homme nu :
« À la suite des sciences physiques, les sciences humaines doivent se convaincre que la réalité de leur objet d’étude n’est pas tout entière cantonnée au niveau où le sujet la perçoit. Ces apparences recouvrent d’autres apparences qui ne valent pas mieux qu’elles, et ainsi de suite jusqu’à une nature dernière qui chaque fois se dérobe, et que sans doute nous n’atteindrons jamais. Ces niveaux d’apparence ne s’excluent pas, ne se contredisent pas les uns les autres, et le choix qu’on fait de chacun ou de plusieurs répond aux problèmes qu’on se pose et aux propriétés diverses qu’on veut saisir et interpréter. Libre au politique, au moraliste et au philosophe d’occuper l’étage jugé par eux seul honorable et de s’y barricader, mais qu’ils ne prétendent pas y enfermer tout le monde avec eux et interdire, pour s’attaquer à des problèmes distincts des leurs, d’agir sur la tourelle du microscope, changer le grossissement, et faire ainsi apparaître un objet autre derrière celui dont l’exclusive contemplation les ravit. » (8)
Et Lévi-Strauss, parlant plus précisément de ses recherches relatives aux mythes, ajoute ceci :
« Derrière le reproche mensonger d’avoir appauvri les mythes se cache un mysticisme larvé, nourri du vain espoir qu’un sens caché derrière le sens se révèle, pour justifier ou excuser toutes sortes d’aspirations confuses et nostalgiques qui n’osent pas s’exprimer. À moi aussi sans doute, le domaine de la vie religieuse apparaît comme un prodigieux réservoir de représentations que la recherche objective est loin d’avoir épuisé ; mais ce sont des représentations comme les autres, et l’esprit dans lequel j’aborde l’étude des faits religieux suppose qu’on leur refuse d’abord toute spécificité.
Il faut en prendre son parti : les mythes ne disent rien qui nous instruise sur l’ordre du monde, la nature du réel, l’origine de l’homme ou sa destinée. On ne peut espérer d’eux nulle complaisance métaphysique ; ils ne viendront pas à la rescousse d’idéologies exténuées. En revanche, les mythes nous apprennent beaucoup sur les sociétés dont ils proviennent, ils aident à exposer les ressorts intimes de leur fonctionnement, éclairent la raison d’être de croyances, de coutumes et d’institutions dont l’agencement paraissait incompréhensible de prime abord ; enfin et surtout, ils permettent de dégager certains modes d’opération de l’esprit humain, si constants au cours des siècles et si généralement répandus sur d’immenses espaces, qu’on peut les tenir pour fondamentaux et chercher à les retrouver dans d’autres sociétés et dans d’autres domaines de la vie mentale où on ne soupçonnait pas qu’ils intervinssent, et dont, à son tour, la nature se trouvera éclairée.
 » (9)

Les « idéologies exténuées » dont parle là Lévi-Strauss - celles qui s’abreuvent de métaphysique - ne sont assurément pas aussi exténuées qu’il a pu le penser en 1971. Mais son propos montre bien par quel souci il a concomitamment congédié la politique et la métaphysique, tout préoccupé qu’il était d’un fonctionnement de l’esprit humain dans ce qu’il a d’universel et d’intemporel. La langue et la culture ne sont que des modalités d’un esprit qui enferme dans ses virtualités les états de conscience dont nous sommes naïvement convaincus qu’ils sont le premier canal de la connaissance.

« Que sais-je ? » a écrit Montaigne sur les poutres de sa librairie. Il y a quelque chose qui ressemble à de l’arrogance chez celui qui prétend donner un sens à une croyance en déniant celui que lui confèrent les croyants, Spinoza l’a éprouvé. La position de Lévi-Strauss est plus qu’inconfortable. Issu des rangs du colonisateur, armé d’une méthode propre à sa société, il en vient à chercher une raison d’être aux croyances de peuples si différents de lui là surtout où ceux qui y adhèrent ne veulent pas la chercher. Mais sa démarche n’est faite que de modestie : modestie de l’homme dans un univers qui donne la mesure de son insignifiance ; modestie de l’esprit humain dans son inaltérable animalité ; modestie personnelle dans la vanité de l’historicisme ; modestie personnelle encore dans le flot des prétentions politiques et des préjugés communs ; modestie personnelle enfin face à l’aveuglement auquel condamne l’actualité.

La biographie écrite par Emmanuelle Loyer - de laquelle je n’ai presque rien dit - nous livre un homme qui a voulu s’attaquer à des questions que la philosophie se réservait par le seul truchement de la rigueur scientifique, c’est-à-dire débarrassées de ce qu’il jugeait être des représentations… « comme les autres ».

(1) Emmanuelle Loyer, Lévi-Strauss, Flammarion, Grandes biographies, 2015.
(2) Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale deux, Plon, 1966, p. 53. Ce texte est partiellement cité par Emmanuelle Loyer dans sa biographie (pp. 607-608).
(3) Ce sont les mots de Dominique Schnapper, par exemple (prononcés sur France Culture lors de l’émission La grande table du 25 décembre 2015).
(4) Le quotidien de Paris, 2 octobre 1989.
(5) Claude Lévi-Strauss & Didier Eribon, De près et de loin, suivi d’un entretien inédit “Deux ans après”, Éd. Odile Jacob, Points, 1990, p. 131.
(6) Ibid., p. 219.
(7) Ibid., p. 213.
(8) Claude Lévi-Strauss, L’homme nu, Plon, 1971, pp. 570-571.
(9) Ibid., p. 571.

Autres notes sur Lévi-Strauss :
Claude Lévi-Strauss
Lévi-Strauss, le passage du Nord-Ouest d’Imbert
Le père Noël supplicié
Claude Lévi-Strauss est mort
À propos d’une analogie
Claude Lévi-Strauss de Marcel Hénaff
La fin de la suprématie culturelle de l’Occident
...ce que nous apprend la civilisation japonaise
L’autre face de la lune
Trois des Entretiens avec Claude Lévi-Strauss de Georges Charbonnier
De Montaigne à Montaigne
La pensée sauvage
Correspondance 1942 - 1982 avec Jakobson

mardi 15 décembre 2015

Note de lecture : Monique Lévi-Strauss

Une enfance dans la gueule du loup
de Monique Lévi-Strauss


En 1954, Claude Lévi-Strauss a épousé Monique Roman en troisièmes noces. Sur les circonstances de leur rencontre (1), elle ne livre que ceci (2):
« En septembre [1949], les Lacan m’invitèrent à dîner, au 5, rue de Lille, avec Laurence Bataille, la fille aînée de Sylvia, Balthus et Claude Lévi-Strauss. Ce dernier ayant soutenu sa thèse, Pierre Bérès lui avait confié la direction d’une collection de livres ethnographiques aux Éditions Hermann. Lévy-Strauss demanda à Lacan s’il connaissait quelqu’un capable de lire les épreuves d’un livre écrit par un couple d’ethnologues australiens, les Berndt, sur les aborigènes. Le livre, rédigé en anglais, avait été imprimé en France, mais les délais étaient trop courts pour qu’on envoie par avion en Australie les épreuves à corriger. Jacques lui répondit : “Vous êtes assis à coté d’une personne qui s’acquittera au mieux de cette tâche.” Après ce premier contact, Claude me demanda de lui traduire des textes allemands. Deux ans plus tard nous décidâmes de vivre ensemble. » (pp. 212-213)

Monique Roman est née en 1926 d’un père belge et d’une mère juive, elle-même née à Londres. Son père eut l’étrange idée de partir travailler en Allemagne en 1939, ce qui lui a valu de vivre la guerre « dans la gueule du loup ». Pourquoi s’intéresser à son témoignage ? Je ne puis nier que ce qui m’y incita, ce fut d’abord qu’elle était l’épouse de Claude Lévi-Strauss. Il est malaisé de résister à l’envie d’en savoir un peu sur la vie intime d’un personnage dont l’œuvre nous porte à croire qu’il mit beaucoup d’intelligence à concevoir la vie et à mener la sienne. Et le choix qu’il fit de la partager avec Monique Roman, de surcroît la troisième, déporte la curiosité sur elle.

C’est sa rencontre avec Maurice Olender qui nous a valu de lire ce récit des années d’adolescence passées en Allemagne nazie, comme elle contribua également beaucoup à la publication de lettres de son mari à ses parents (3). Sa discrétion naturelle ne l’aurait probablement pas conduite à franchir le pas seule. Elle écrit :
« J’étais rentrée en France en 1945, et les épisodes que je venais de vivre bouillonnaient dans ma tête, j’aurais aimé en discuter. Personne pour m’écouter. » (p. 12)

A-t-on assez mesuré combien, lors des années d’après-guerre et bien longtemps après encore, le silence sur les horreurs de la guerre fut la règle ? On peut tenter de l’expliquer de différentes façons : le caractère incroyable des sévices subis, une indifférence antisémite aux malheurs des juifs, les dérives injustifiables de l’épuration comme celles même du combat contre l’Allemagne, le désir des vainqueurs d’écrire l’histoire sous la forme d’une épopée, la honte d’un temps marqué par des privations et des souffrances déshumanisantes, l’envie de passer à autre chose, etc. Et lorsque vint le temps d’un souvenir adapté à l’ampleur du désastre, l’éloignement avait progressivement rangé cette époque ancienne dans les aberrations de l’histoire, celles qui sont précisément normalisées par leur longue antériorité. Pourtant, malgré tout ce que l’on a à présent écrit d’intelligent sur le totalitarisme, l’engouement populaire pour la démagogie brutale de l’égoïsme et surtout pour les hâbleurs impudents qui la propagent, de même que l’indifférence à l’égard des barbaries lointaines, n’ont pas faibli. Même la fâcheuse inclination à qualifier de fascistes ou de nazis ceux que l’on soupçonne d’être insuffisamment progressistes participe à brouiller les analyses et à celer les ressorts de cet exclusivisme ravageur qui fait tant tort à la vie.

Le témoignage de Monique Lévi-Strauss n’a rien de décisif. Il n’ambitionne d’ailleurs pas de démontrer quoi que ce soit. Mais il nous emmène sur place, là, au milieu du peuple allemand asservi, partagé entre la peur et les dogmes imbéciles, démoralisé par les bombardements, courbé devant l’arrogance, le mensonge et la cruauté. Et le caractère souvent prosaïque des faits rapportés donne à toucher à ces réalités que des jugements généraux et théoriques ont si souvent voilées.

On entend volontiers affirmer qu’il ne faut plus jamais ça (expression qui fut rapidement réutilisée pour divers litiges récents), mais ne s’agit-il pas de s’interroger d’abord sur ce qui incite tant de gens à basculer dans l’irrespect de l’autre ? C’est probablement avant tout le mensonge qui crée la croyance et la peur collectives dont se nourrissent les idéologies pernicieuses. Et l’on fait si peu pour apprendre aux jeunes à démasquer le mensonge. À quoi bon enseigner les valeurs d’égalité, de solidarité et de respect (comme en ont l’ambition les cours de citoyenneté imaginés récemment) si l’on ne transmet pas les moyens de confondre ceux qui s’en revendiquent pour obtenir le soutien dont leur ambition à besoin ? À quoi bon prôner l’entraide si l’on ne rend pas attentif au sort fait à celle-ci lorsqu’elle est circonscrite ? À quoi bon faire l’éloge de la générosité lorsqu’on ne met pas en garde contre ceux qui gagnent tout à s’enorgueillir de la pratiquer pendant que ceux qui devraient en bénéficier restent perdants ? La politique couche avec le mensonge. Les jeunes auxquels on cache cette fatalité restent des proies faciles face aux démagogues. Et lorsqu’un politique choisit d’affirmer ces valeurs et que le souci de sa propre carrière en fait fi, il exhibe un mensonge - facilement repérable, celui-là - qui donne du poids aux démagogues exclusivistes. Il n’est pas établi qu’il ne soit pas possible d’agir en politique en restant à l’abri de cette pente fatale ; mais il est exclu qu’il soit possible d’en juger sans conserver à cet égard une méfiance de tous les instants.

Une des choses trop souvent négligée, c’est d’apprendre à juger prioritairement les gens sur leurs actes, leur comportement, particulièrement dans les circonstances les plus quotidiennes, avant même de les juger selon leurs discours, leurs croyances affichées, leurs opinions proclamées, leurs adhésions revendiquées. Par exemple, je serais personnellement assez enclin à débattre avec les jeunes du personnage de François Mitterrand, de l’admiration et des illusions qu’il a suscitées, du respect mêlé de crainte dont il a su faire usage, des moyens qu’il a utilisé pour se hisser au faîte du pouvoir, et puis des comportements qui furent les siens, de ses mensonges, de son cynisme, de sa cruauté. Le cas me paraît à tout prendre aussi exemplaire - quant à la nature de la politique - que celui de Hitler. (4)

Monique Lévi-Strauss, pour sa part, ne tire aucune conclusion générale des peurs et des souffrances qu’elle a dû endurer durant son adolescence. Elle raconte. Voici un exemple de faits rapportés, non certes parmi les plus instructifs, mais assurément pas des moins étranges :
« Un matin, pendant les derniers jours de ma scolarité, je croisais devant l’église le directeur du lycée, dignitaire du parti national-socialiste toujours vêtu de l’uniforme. En tant qu’élève, j’aurais dû le saluer d’un Heil Hitler ! le bras droit levé. Pour éviter de faire le geste et prononcer les paroles, je mis dans ma bouche le quignon de pain sec que je gardais dans ma poche comme coupe-faim. En signe de respect, j’inclinais la tête. Pendant la récréation, je fus appelée chez le directeur. La peur au ventre, j’entrais pour la première fois dans son bureau. Le luxe de cette pièce contrastait avec la sobriété de l’établissement qui conservait un caractère monacal. Couverts de boiseries les murs encadraient une baie vitrée donnant sur la forêt. Sur une épaisse moquette bleu vif, reposaient deux fauteuils club gainés de cuir fauve. Le directeur, debout devant la fenêtre, derrière son bureau, fumait un gros cigare dont la fumée s’était stabilisée à mi-hauteur de la pièce. Il me pria de m’asseoir et me fit un cours sur les règles de la politesse. Ainsi, j’étais devenue eine junge Dame, une jeune dame (j’allais avoir dix-huit ans), c’était donc à lui à me saluer en premier quand nous nous croisions. » (pp. 119-120)

(1) Dans les années 30, comme dans les années d’après-guerre, il existait à Paris un cercle de gens cultivés et renommés au sein duquel - malgré et quelquefois à cause de solides inimitiés - des couples se formaient et se défaisaient, un peu à l’image de ce qui existe de nos jours dans le cercle du show business. En fréquentant - sur les conseils de Clara Malraux - les conférences organisées par Jean Wahl au Collège philosophique (qui deviendra le Collège de philosophie en 1974), Monique Roman pénétra un petit monde intellectuel où elle se lia d’amitié avec Sylvia Bataille, alors séparée de Georges Bataille et compagne de Jacques Lacan (qu’elle épousera en 1953). Une des soeurs de celle-ci avait épousé André Masson, une autre Théodore Fraenkel, une autre encore Jean-Baptiste Piel. Il y a là de quoi réfléchir à ce qui favorise l’alliance et génère certaines règles complexes de la parenté.
(2) In Monique Lévi-Strauss, Une enfance dans la gueule du loup, Seuil, La librairie du XXIe siècle, 2014.
(3) Claude Lévi-Strauss, “Chers tous deux”. Lettres à ses parents 1931-1942, Seuil, La librairie du XXIe siècle, 2015.
(4) Je ne cite pas Hitler pour sacrifier à la mode de l’évoquer hors de propos, moins encore pour suggérer une comparaison provocatrice entre Mitterrand et lui. Simplement, il me semble que la jeunesse se le voit le plus souvent imposer comme un symbole du mal sans qu’aient été analysées les raisons de son succès, ce qui ne le distingue pas de tous ces politiques dont on n’obtient l’inventaire des turpitudes (parfois bénignes) que sur le mode de la dénonciation partisane. C’est pourtant l’étude rigoureuse et neutre des faits qui seule peut conduire à une approche de la politique et des politiques pour ce qu’elle est et ce qu’ils sont. Du moins le crois-je ; encore suis-je sans doute encore naïf de la supposer possible.

jeudi 19 novembre 2015

Note d’opinion : le poids du passé

À propos du poids du passé

Monique S. m’a demandé pourquoi j’avais terminé ma note du 9 octobre 2015 par un « Et pourtant… ». Après y avoir insisté sur l’irréductible inexistence du passé, je laissais percer que c’était peut-être contestable.

Le paradoxe apparent tient au fait que l’on peut subrepticement penser le réel en faisant abstraction de ce que cette pensée doit au fait de penser - comme c’est le cas lorsqu’on s’interroge sur la réalité du passé -, mais on ne peut vivre en niant la substance de la pensée, c’est-à-dire en ne s’inclinant pas devant l’empire que la pensée et le langage dont elle s’alimente exerce sur nous. Pensée et langage se sont en effet substitués à toute autre médium entre l’homme et le monde, et même entre l’homme et lui-même.

Pour faire comprendre ce que je veux dire là, on pourrait imaginer le présent comme adossé à un mur qui masquerait totalement l’avenir, alors que le passé resterait visible - ou cru tel - par le biais de la mémoire. Non seulement nous ignorons ce que sera l’avenir, mais toute tentative pour combler cette ignorance est quasi toujours vouée à l’échec. Il est frappant de constater combien les prévisions se révèlent invariablement fausses et l’illusion qu’elles puissent être conformes au devenir des choses ne survit que par notre négligence à n’en jamais vérifier la survenance. Cette paresse à ne pas confronter le présent aux prévisions dont il a fait jadis l’objet va de pair avec une forte inclination à donner du crédit aux prophètes en tous genres, lesquels obtiennent davantage de considération que les historiens, alors même que ces derniers explorent des choses à propos desquelles des découvertes sont possibles, là où les premiers ne peuvent généralement compter que sur l’effet d’autoréalisation d’un avenir qu’ils prétendent connaître. C’est au langage - dont nous attendons pourtant qu’il nous porte à démêler le vrai du faux - que nous devons cette survivance du passé et les illusions qui s’ensuivent : une confiance très exagérée en ce que nous croyons avoir été le passé et une indécrottable présomption à deviner ce que seront certains aspects de l’avenir. L’animal - privé de langage (langage articulé s’entend) - ne garde sans doute en mémoire que ce que réclame l’adéquation de son comportement aux conditions auxquelles il est confronté et n’entrevoit probablement l’avenir que dans sa plus immédiate imminence.

J’ignore ce qu’est la pensée, et davantage encore son véritable mode de fonctionnement. Si je la traite comme l’effet matériel de faits eux-mêmes matériels, je ne puis que supposer qu’elle réclame des intuitions (1) premières, arcboutées sur le roc de l’espace et du temps. Sans en discuter la portée exacte ni en affirmer l’extrême lucidité, je voudrais ici citer Kant, alors qu’il tente de caractériser l’espace et le temps :
« L’espace n’est rien autre chose que la forme de tous les phénomènes des sens extérieurs, c’est-à-dire la condition subjective de la sensibilité sous laquelle seule nous est possible une intuition extérieure. Or, comme la réceptivité en vertu de laquelle le sujet peut être affecté par des objets précède, d’une manière nécessaire, toutes les intuitions de ces objets (Objecte), on comprend facilement comment la forme de tous les phénomènes peut être donnée dans l’esprit (Gemülhe), antérieurement à toute perception réelle, - par conséquent a priori, - et comment, avant toute expérience, elle peut, comme intuition pure, dans laquelle tous les objets doivent être déterminés, contenir les principes de leurs relations. » (2)
« Le temps est une représentation nécessaire qui sert de fondement à toutes les intuitions. On ne saurait exclure le temps lui-même par rapport aux phénomènes en général, quoiqu’on puisse fort bien faire abstraction des phénomènes dans le temps. Le temps est donc donné a priori. En lui seul est possible toute réalité des phénomènes. Ceux-ci peuvent bien disparaître tous ensemble, mais le temps lui-même (comme condition générale de leur possibilité) ne peut être supprimé. » (3)
Je n’en retiens (pour l’instant) qu’une chose : la pensée ordinaire obéit à des contraintes qu’elle ignore et qui sont liées aux conditions d’exercice de la sensibilité. Mais peut-on exclure que la pensée seconde, celle qui s’attache à dépasser la pensée ordinaire (celle par exemple d’Aristote, de Bacon, de Descartes, de Kant lui-même, de Husserl, pour n’évoquer que certains de ceux qui ont essayé de mettre la pensée en procès), ne soit pas elle-même ligotée par les nécessités de l’articulation qui caractérise le langage humain. Ce qu’il est possible de penser, de dire ou d’écrire sur le passé ou sur l’ailleurs réclame des mises en relation qui n’ont pas toujours de correspondance - n’en déplaise à Spinoza - avec la manière dont le réel serait lui-même articulé.

Durkheim a beaucoup insisté sur l’enracinement social des catégories de l’entendement. Il écrit notamment :
« Il existe, à la racine de nos jugements, un certain nombre de notions essentielles qui dominent toute notre vie intellectuelle ; ce sont celles que les philosophes, depuis Aristote, appellent les catégories de l’entendement : notions de temps, d’espace, de genre, de nombre, de cause, de substance, de personnalité, etc. Elles correspondent aux propriétés les plus universelles des choses. Elles sont comme les cadres solides qui enserrent la pensée ; celle-ci ne paraît pas pouvoir s’en affranchir sans se détruire, car il ne semble pas que nous puissions penser des objets qui ne soient pas dans le temps ou dans l’espace, qui ne soient pas nombrables, etc. Les autres notions sont contingentes et mobiles ; nous concevons qu’elles puissent manquer à un homme, à une société, à une époque ; celles-là nous paraissent presque inséparables du fonctionnement normal de l’esprit. Elles sont comme l’ossature de l’intelligence. » (4)
Et à propos du temps, il écrit plus spécifiquement ceci :
« Qu’on essaie, par exemple, de se représenter ce que serait la notion du temps, abstraction faite des procédés par lesquels nous le divisons, le mesurons, l’exprimons au moyen de signes objectifs, un temps qui ne serait pas une succession d’années, de mois, de semaines, de jours, d’heures ! Ce serait quelque chose d’à peu près impensable. Nous ne pouvons concevoir le temps qu’à condition d’y distinguer des moments différents. Or quelle est l’origine de cette différenciation ? Sans doute, les états de conscience que nous avons déjà éprouvés peuvent se reproduire en nous, dans l’ordre même où ils se sont primitivement déroulés ; et ainsi des portions de notre passé nous redeviennent présentes, tout en se distinguant spontanément du présent. Mais, si importante que soit cette distinction pour notre expérience privée, il s’en faut qu’elle suffise à constituer la notion ou catégorie de temps. Celle-ci ne consiste pas simplement dans une commémoration, partielle ou intégrale, de notre vie écoulée. C’est un cadre abstrait et impersonnel qui enveloppe non seulement notre existence individuelle, mais celle de l’humanité. C’est comme un tableau illimité où toute la durée est étalée sous le regard de l’esprit et où tous les événements possibles peuvent être situés par rapport à des points de repères fixes et déterminés. Ce n’est pas mon temps qui est ainsi organisé ; c’est le temps tel qu’il est objectivement pensé par tous les hommes d’une même civilisation. Cela seul suffit déjà à faire entrevoir qu’une telle organisation doit être collective. Et, en effet, l’observation établit que ces points de repère indispensables par rapport auxquels toutes choses sont classées temporellement, sont empruntés à la vie sociale. Les divisions en jours, semaines, mois, années, etc., correspondent à la périodicité des rites, des fêtes, des cérémonies publiques. Un calendrier exprime le rythme de l’activité collective en même temps qu’il a pour fonction d’en assurer la régularité. » (5)

Il y a là une manière d’expliquer ce que les principes de la pensée doivent à la construction de concepts chargés de donner vie à des choses qui n’existent pas, telle le passé. Il est frappant de constater que Durkheim, sans doute peu disposé à se préoccuper du subjectivisme de la perception (6) explicite cependant ces fondements de la pensée d’une façon qui donne des arguments à l’approche phénoménologique des choses. Encore qu’il restreint rapidement son propos à la vie sociale, et rien qu’à la vie sociale (néanmoins si décisive que l’on peut se demander si elle ne détermine pas tout) et surtout qu’il se garde de trop se pencher sur la notion de cause - pourtant citée parmi les catégories de l’entendement - qui guidera sans faillir sa méthode de recherche (« La cause déterminante d’un fait social… »).

À cet égard, la phénoménologie sera plus circonspecte en ce qu’elle donnera souvent une importance primordiale à la perception, au point d’y reconnaître le lieu d’une liberté apte à forger des jugements ex nihilo (7). Or, la subtilité que représente une approche des choses qui prend en compte l’expérience vécue, appréhendée comme une déformation du réel, s’arrête peut-être en bon chemin. Qui peut dire si la déformation actée, au lieu d’être une conséquence de la spécificité substantielle de la pensée et de son aptitude à créer de rien un être autonome, n’est pas plutôt la marque d’une fatalité qui indique les limites dans lesquelles le langage l’étreint, condamnée qu’elle serait alors à l’illusion, à commencer par celle qui consiste à se prendre pour ce qu’elle n’est pas ?

J’ai déjà eu l’occasion, dans une note du 3 juillet 2013, de dire à quelles difficultés se heurte, selon moi, la définition kantienne de la causalité. Il en ressort qu’il est bien malaisé de savoir si la distinction entre cause et effet est inscrite dans la façon dont la matière est animée, ou si elle ne représente qu’un procédé par lequel la pensée appréhende ce qui autrement lui échapperait. Et si la causalité est une propriété du monde, sauf à voir dans la pensée la manifestation d’une chose qui en est libérée - aussi bien du monde que de la causalité -, alors il faut bien en convenir : presque à l’inverse de ce que disait Pascal (8), l’homme est compris par l’univers qu’il comprend bien mal. Et, sa cause étant hors de lui, rien de ce qu’il est, de ce qu’il fait et de ce qu’il pense n’échappe alors à des déterminations auxquelles la pensée croit naïvement échapper.

Il y a bien des arguments à opposer à cette conception déterministe de l’homme. Je ne résiste pas à l’envie de citer les arguments que Kant opposa à Schultz, défenseur comme un nombre non négligeable de prédicateurs protestants du XVIIIe siècle d’une « morale fataliste » (entendez déterministe) :
« […] tout lecteur impartial et surtout suffisamment exercé dans ce genre de spéculation ne manquera pas de remarquer que le fatalisme universel, qui dans cet ouvrage est le principe le plus important et affecte violemment toute la morale (puisqu’il convertit toute action humaine en un pur jeu de marionnettes) détruit entièrement l’idée de l’obligation. Le devoir au contraire ou l’impératif, qui distingue la loi pratique de la loi naturelle, nous transporte en idée tout à fait en dehors de la chaîne de la nature ; car, si nous ne concevions notre volonté comme libre, il serait impossible et absurde, et nous n’aurions plus alors qu’à attendre et à observer les résolutions que Dieu effectuerait en nous par le moyen des causes naturelles, sans que de nous-mêmes nous en pussions ou devions prendre aucune. Une telle doctrine produit naturellement le plus grossier fanatisme et enlève ainsi toute influence à la saine raison, dont cependant l’auteur s’est efforcé de maintenir les droits. - Le concept pratique de la liberté n’a dans le fait rien du tout à voir avec le concept spéculatif, qui reste entièrement livré aux métaphysiciens. En effet il peut m’être tout à fait indifférent de savoir d’où provient originairement l’état où je me trouve au moment d’agir ; il me suffit de connaître ce que j’ai maintenant à faire. La liberté n’est ainsi qu’une supposition pratique nécessaire, ou une idée sans laquelle je ne pourrais accorder aucune valeur aux ordres de la raison. Le sceptique même le plus opiniâtre avoue que, quand il s’agit de l’action, toutes les difficultés sophistiques touchant une apparence universellement trompeuse doivent s’évanouir. De même le fataliste le plus résolu, qui reste fataliste tant qu’il se livre à la spéculation, doit, dès qu’il s’agit pour lui de sagesse et de devoir, agir toujours comme s’il était libre. - Aussi bien cette idée produit-elle réellement le fait qui y correspond, et elle seule d’ailleurs est capable de le produire. Il est difficile de dépouiller entièrement l’homme. L’auteur, après avoir justifié la conduite de chaque homme, si absurde qu’elle puisse paraître aux autres, par le principe de sa disposition particulière, dit p. 137 : “Je consens à perdre (expression téméraire) tout ce qui peut me rendre heureux dans ce monde et dans l’autre, s’il n’est pas vrai que tu eusses agi d’une manière tout aussi absurde que tel autre, si tu avais été à sa place.” Mais, comme, d’après ses propres assertions, la plus entière conviction dans un moment donné ne peut nous assurer que, dans un autre moment, quand la connaissance aura été poussée plus loin, la vérité d’aujourd’hui ne deviendra pas l’erreur d’alors, comment peut-il aller jusqu’à prendre un engagement aussi hasardé ? - C’est que, sans vouloir se l’avouer lui-même, il suppose dans le fond de son âme que l’entendement a la faculté de déterminer son jugement d’après des principes objectifs qui aient une valeur constante, et qu’il n’est pas soumis au mécanisme de causes déterminantes purement subjectives ; par conséquent il admet toujours la liberté de la pensée, sans laquelle il n’y a pas de raison. De même, lorsque, dans la conduite de sa vie, de l’honnêteté de laquelle je ne doute pas, il veut agir conformément aux lois éternelles du devoir et s’élever au-dessus du jeu de ses instincts et de ses penchants, il admet nécessairement la liberté de la volonté, sans laquelle il n’y a pas de morale, quoiqu’il se soit déjà refusé à lui-même cette faculté, faute de pouvoir mettre d’accord ses principes pratiques avec ses principes spéculatifs. Il faut d’ailleurs convenir que sur ce point il ne perdrait pas beaucoup, puisque cela ne réussit à personne. » (9)

Évidemment, les objections visent un moraliste, croyant en Dieu de surcroît. Elles témoignent bien, cependant, de ce zèle mis par ce petit bout de conscience dévolu à l’homme de lui reconnaître une essence originale qui l’arracherait aux conditions biologiques de sa survenance au monde. Après tout, comme l’a dit bien mieux que moi Lévi-Strauss (10), les facultés de l’homme lui ont d’abord servi à faire naître des conditions nouvelles et doivent désormais lui servir essentiellement à se défendre de leurs inconvénients.

Le passé n’existe plus, plus du tout, mais les conséquences des actes passés sont ce qui permet à l’homme de le sonder et d’y découvrir une part de ce qui le détermine. Du moins suis-je conduit à le croire. Car je suis bien conscient que je philosophe ainsi au-dessus de mes moyens philosophiques, comme dit Bourdieu (11).

(1) J’emploie le mot intuitions, mais j’aurais tout aussi bien pu dire formes, représentations, notions, que sais-je encore ; il s’agit de désigner les premiers matériaux dont use la pensée, le plus souvent inconsciemment.
(2) Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, trad. par A. Tremesaygues et B. Pagaud, PUF, Quadrige, 10e éd., 1984, p. 58.
(3) Ibid., p. 61.
(4) Émile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, PUF, 1968, pp. 12-13.
(5) Ibid., pp. 14-15.
(6) Il écrit : « La première règle et la plus fondamentale est de considérer les faits sociaux comme des choses » (Les règles de la méthode sociologique, PUF, Quadrige, 20e éd., 1981, p. 15) ; ou encore : « La cause déterminante d’un fait social doit être cherchée parmi les faits sociaux antécédents, et non parmi les états de la conscience individuelle » (Ibid., p. 109).
(7) C’est aussi vrai chez Maurice Merleau-Ponty que chez Jean-Paul Sartre.
(8) Blaise Pascal, Pensées, texte établi par Louis Lafuma, frag. 113, Seuil, 1962, p. 67 : « Par l’espace, l’univers me comprend et m’engloutit comme un point : par la pensée je le comprends. »
(9) Emmanuel Kant, “Opuscules relatifs à la morale” in Doctrine de la vertu, Pédagogie, Opuscules relatifs à la morale, trad. de Jules Barni, éd. Auguste Durand, 1855, p. 263-264.
(10) J’ai vainement recherché l’extrait en cause qu’Emmanuelle Loyer cite encore dans sa biographie (« Lévi-Strauss, Flammarion, 2015 ») et dont j’ai sottement négligé de noter la page.
(11) Pierre Bourdieu, Esquisse pour une auto-analyse, éd. Raisons d'agir, 2004, p. 133.

vendredi 9 octobre 2015

Note de lecture : Paolo Di Paolo

Où étiez-vous tous
de Paolo Di Paolo


Animal
À l’aide de pierres
Efface mes longues pelisses

Homme
Je n’ose pas me servir
Des pierres qui te ressemblent

Animal
Gratte avec tes ongles
Ma chair est d’une rude écorce

Homme
J’ai peur du feu
Partout où tu te trouves

Animal
Tu parles
Comme un homme

Détrompe-toi
Je ne vais pas au bout de ton dénuement
Réné Char, “Sosie” (1)

S’est-on jamais suffisamment interrogé sur la réalité du passé ? Et quand je parle de réalité, c’est bien de cela qu’il est question, dès lors que l’on prend conscience du fait que le passé n’en a aucune. Il nous construit - véritablement - alors même qu’il n’existe pas, puisqu’il n’existe plus. Ce creux nous remplit continûment, par nos souvenirs, par nos valeurs, par nos volontés, par nos raisons, nous privant ainsi définitivement de la possibilité de vivre animalement, c’est-à-dire pour autant que l’on sache sans le terrible poids du passé. Et sa force réside bien sûr dans ce sentiment à la fois ridicule et absurde que, précisément, notre force en découle.

Que César ait vécu jusqu’à son assassinat, c’est très probable. Mais cette existence a disparu avec lui. Et la dire disparue n’est pas suffisant, car l’on pourrait aisément en déduire qu’elle nous est simplement cachée, par le temps par exemple. Or c’est beaucoup plus que ça, ou encore bien moins que ça : elle a été supprimée, abrogée, annihilée, annulée. Que des traces attestent de cette existence ne change rien au fait que son évocation est sans rapport avec elle : elle n’est plus, et ce non-être est à ce point puissant qu’il équivaut à ce qu’elle n’ait jamais existé.

Le temps est peut-être la plus irréductible des illusions. Il s’offre à nous comme une ligne parcourue, alors qu’il n’y a en fait ni ligne, ni parcours. Il y a un langage qui ne peut se développer sans postuler un écoulement, le sien propre comme celui de tout ce qu’il permet d’amener à la conscience, laquelle s’y prend les pieds comme on peut se les prendre dans un tapis mal étalé.

Mais ce qui peut encore être appréhendé lorsqu’il s’agit de César devient inenvisageable dès lors qu’il faut en conserver l’impératif à propos de nos motivations quotidiennes ou intimes :
« Le monde serait méconnaissable à nos yeux s’il y manquait six ou sept personnes. Rien que six ou sept, sur les milliards que nous sommes. Sans les agacements qu’elles provoquent, sans le simple fait inexplicable qu’elles vivent à nos côtés. Tu ne pourrais pas baisser la voix ? Tu ne pourrais pas voir les choses d’une manière un peu moins obtuse ? Tu ne pourrais pas tout simplement comprendre, arrêter de me répéter tout le temps les mêmes trucs, arrêter de te décharger sur moi de tes efforts ? Tu ne pourrais pas arrêter de cuisiner ce plat de cette façon ? Tu ne pourrais pas éviter de me mettre si mal à l’aise, d’essayer de deviner ce que je pense, de fourrer ton nez dans mes affaires ? de jouer l’indifférence quand tu veux me punir ? Il t’est vraiment impossible de faire moins de bruit quand tu te réveilles, de laisser moins de désordre derrière toi, de suspendre une bonne fois pour toutes ta distribution de vérités sur le monde ? Tu ne pourrais pas me demander plus souvent comment s’est passée ma journée, et faire une toute petite tentative pour en savoir davantage si je me contente de te répondre “bien” ? Tu ne pourrais pas me laisser tranquille, quand tu comprends que j’ai besoin qu’on me laisse tranquille ? Tu ne pourrais pas essayer de t’approcher de moi et de comprendre ce qui me prend sans me le demander ?
Mais je t’en prie : ne baisse pas trop la voix, sinon l’appartement donne l’impression d’être vide. Regarde les choses d’une manière qui me semble obtuse, c’est agréable de te contredire. Décharge-toi sur moi du poids de tes efforts, je serai autorisée à en faire autant avec toi. Continue de cuisiner comme ça, mets beaucoup d’ail, ça me va, mets-moi mal à l’aise, essaie de deviner ce que je pense, fourre ton nez dans mes affaires. Et s’il te plaît, joue l’indifférence, quand tu veux me punir. Fais du bruit si tu veux, quand tu te réveilles, et laisse tout en désordre : je continue à te reconnaître à ça. Distribue des vérités sur le monde, parfois je les ramasse, même si je ne le dis pas. Il y faudra peut-être des années, mais je m’en approprierai certaines. Ne me demande pas comment s’est passée ma journée. Ne me laisse pas tranquille.
 » (pp. 234-235) (2)

On pourrait croire, en lisant ceci, que le rapport avec la question du temps est ténu. Mais non, il est au contraire très étroit. Car c’est le temps - avec ses répétitions et surtout avec ses accoutumances - qui forge l’illusion de convictions envers nos proches jusqu’à nous permettre de les interpréter dans un sens ou dans l’autre, selon nos inclinations du moment.

Ce que j’en dis là, je l’ai donc aperçu dans Où étiez-vous tous de Paolo Di Paolo. Pourtant, ce livre est généralement présenté comme une réflexion sur les années Berlusconi en Italie. Et il est vrai que Berlusconi y apparaît comme un des symptômes trahissant le vide laissé par la disparition des idéologies, une sorte de “n’importe quoi” qui a pris le relais d’un “nous savons tout”. Et cet effacement des grandes convictions collectives a dévoilé plus que jamais l’opacité de la contingence et en quoi le discours est un bruit auquel la réalité est sourde.

Dans Où étiez-vous tous - ce titre est une invitation à se poser les mêmes questions que les personnages -, dans Où étiez-vous tous, je vois deux trames. D’abord celle assez anecdotique de l’intrigue, ensuite celle d’une réflexion autrement profonde qu’elle n’en a l’apparence sur cette discipline très particulière qu’on appelle l’histoire.

Le père du narrateur, professeur à la veille de la retraite, heurte un de ses élèves avec sa voiture. Distraction ou rétorsion ? De ci de là, on apprend certains faits qui chamboulent notre compréhension de cet incident : des problèmes grandissants de discipline dans le chef du professeur finissant, des conflits antérieurs entre ce professeur et cet élève, une certaine proximité entre ce même élève et la fille du professeur, une accusation d’adultère, la fugue à Berlin de la femme du professeur,… Qu’y a-t-il de vrai dans tout ça ? Qui voit clair, qui se trompe ?
« Où se situe la vérité de quelqu’un ? Est-elle le résultat des interprétations d’autrui, si contradictoires, approximatives, faussées par les états d’âme, les sautes d’humeur, les préjugés ? Elle se trouve peut-être ailleurs : présente mais infiniment lointaine et insaisissable, comme la ligne d’horizon.
Chaque jour, nous sommes amenés à parler de gens de notre entourage, comme si nous étions au courant de tout ce qui les concerne. Il s’agit-là de la zone restreinte de ceux que nous appelons “nos Connaissances”. Elle s’élargit peu à peu, année après année, s’enrichit de nouvelles présences et en perd d’autres, moins homogènes et moins qualifiées. C’est là que nos relations existent, se compliquent, s’effilochent, vieillissent. Mais le monde, c’est surtout, ou seulement, ceci : des gens que nous ne
connaissons pas. Ils passent à côté de nous, nous effleurent, et nous ne sentons aucun besoin d’eux. Et nos Connaissances viennent, elles aussi, de là, du monde obscur. Parfois, elles y retournent, ou elles n’en ont jamais bougé. Car nos Connaissances sont toujours des gens connus-à-moitiés, connus-un-peu, mal-connus. Ils nous ont dissimulé, parfois sans le vouloir, de larges portions de leur passé qui nous auraient pourtant fourni des indices décisifs. Ils ont - dans un brusque mouvement de colère, dans une chambre à coucher, dans des sanglots - éclairé une partie d’eux-mêmes dont nous ne soupçonnions pas l’existence et qui a pulvérisé toutes nos certitudes. » (pp. 186-187)

Un chien en rencontre un autre. Ils se reniflent, s’examinent, se frottent, se mordent : ils n’en sauront pas plus pour désormais aimer être ensemble ou préférer se séparer. Une vache pénètre dans l’étable et va sans coup férir à sa place habituelle. Il y a de la mémoire dans ces comportements, mais une mémoire qui se borne probablement à canaliser le présent sans faire revivre le passé. Probablement. Allez savoir ! Reste que l’homme, lui, s’accroche les pieds dans le tapis du passé et ordonne inlassablement les causes et les effets, comme si l’avantage qu’il en croit tirer s’appelait la vérité. Condamné au langage, il en a perdu cette capacité à renifler, à se frotter, à mordre qui renseigne immédiatement sur la vérité du présent. Et il n’a dès lors de cesse de mettre sur ce qu’il vit des mots qui l’informent sur son bonheur ou son malheur. Inquiet sur son avenir, il scrute le passé.

Loin de moi l’idée qu’il faille renoncer à tenter de démêler le vrai du faux à propos du passé. Ne serait-ce justifié que par la libido sciendi, ce désir de connaître qui - à l’image du désir érotique dont la force est peut-être inversement proportionnelle à la réalité de son objet - trouve sa meilleure complétion dans les recherches les plus gratuites. Cette satisfaction de savoir, ne serait-elle pas décuplée lorsqu’elle s’éprouve face à la connaissance des difficultés à connaître ? Que ce soit en scrutant les confins de l’univers ou le passé de l’homme le plus ancien, nous fouillons quelque chose qui n’existe plus. Et notre condition d’homme - d’homme parlant - nous voit jouissant du plus maigre des indices qui alimentent notre illusion de savoir. Comme elle nous voit en proie à un rut perpétuel, bizarrerie biologique dont il reste à démontrer qu’elle est sans rapport avec notre capacité langagière.

Paolo Di Paolo suggère avec talent des idées qui ne sont pas bien loin de celles-là :
« On poursuit dans les documents, à supposer qu’on en ait à sa disposition, quelque chose qui n’existe plus (seule certitude absolue). Dans l’obscurité et la poussière, on devient un antiquaire, un croque-mort, un vampire en proie à la fièvre, on vit des choses mortes, on espère, comme Orphée ou un ange, les réanimer. On s’habille en chasseur, en chaman, on aperçoit la lueur d’une étincelle, loin là-bas, et on la perd aussitôt de vue. On a la tête pleine d’images : mais comment peut-on les qualifier de vraies ? Les minuscules vérités probables qu’on obtient corrigent peu ou mal les gigantesques faux auxquels on avait cru. Le chiffon se précipite pour essuyer la tache d’huile, mais elle s’élargit et s’élargit encore, et pendant ce temps-là le plancher l’absorbe. On demande des informations au présent, et il est là - intolérablement seul -, prêt à ne rien expliquer, et toutefois bien moins compréhensible si on n’en rapproche pas la nuit de ce qui le précède. “La comparaison de différentes époques n’a de sens qu’à condition de ne pas considérer le présent comme le seul avenir possible du passé.” En effet. L’idéal serait de disparaître, d’exister sans être vu, de surprendre la réalité sans lui faire peur, comme l’œil d’un impressionniste avec la lumière de l’après-midi, comme l’œil de Dieu avec tout. Connaître la moindre chose à l’état naissant, informe et infiniment pure, sans histoire. » (pp. 199-200)

Alors, pourquoi le professeur a-t-il renversé l’élève ? Pourquoi dire le pourquoi ? Où étions-nous hier, il y a dix ans ? Ce qui a fait ce qui est n’est plus. Et pourtant…

(1) Arsenal, XVI, José Corti, 1963.
(2) Paolo Di Paolo, Où étiez-vous tous [2011], trad. de l’italien par Renaud Temperini, Belfond, 2015.

vendredi 2 octobre 2015

Note de lecture : Yasmina Khadra

La dernière nuit du Raïs
de Yasmina Khadra


Que se passe-t-il dans la tête d’un tyran ?

Dans Caligula, Camus avait proposé un tyran dont la cruauté et la perversion servaient en quelque sorte de gage à sa propre liberté. Dans Richard III, Shakespeare nous dépeignait plutôt quelqu’un qui décida d’être méchant par jalousie et par ambition. Dans Le prince, Machiavel tentait d’analyser la logique nécessairement cynique de celui qui veut conserver le pouvoir. Mais tout cela ne tranche pas la question de savoir si le tyran est lui-même dupe de ses prétendus desseins. Peut-être y a-t-il autant de réponses à cette question qu’il y a et qu’il y a eu de tyrans. Allez savoir !

Dans La dernière nuit du Raïs (1), Yasmina Khadra nous fait revivre les dernières heures de Mouammar Kadhafi. Et le narrateur, c’est Kadhafi. Ce qui nous vaut un portrait de ce tyran, alors qu’il entrevoit sa chute.

On ne s’étonnera pas que le doute l’habite bien peu. Ni que ceux qui lui en distillent quelques ferments n’excitent que sa fureur. Toute horreur commise est assumée, parce que nécessaire. Nécessaire à quoi ? Au bien de la Lybie et de son peuple, à ce point transformés en abstractions que la définition du bien prodigué n’a plus lieu d’être tentée. Pourtant, il y a le capitaine Jaroud. Lui, dans son désespoir, in extremis jugé infidèle et alors qu’il n’espère plus aucune clémence du Raïs, trouve le mot qui précipitera sa fin, le mot aussi qui blesse enfin l’insensible dictateur :
« Le traître tente de résister aux bras qui le ceinturent, se contorsionne, se débat, la figure décomposée. On le traîne sans ménagements vers la cour. Je l’entends me supplier en pleurant. Ses lamentations se prolongent dans des cris d’épouvante au fur et à mesure qu’on l’enfonce dans la nuit puis, après avoir épuisé tous les recours, il se met à blasphémer :
- Tu n’es qu’un cinglé, Mouammar, un fou à lier sanguinaire. Maudits soient le ventre qui t’a porté et le jour qui t’a vu naître… Tu n’es qu’un bâtard, Mouammar, un bâtard…
Quelqu’un a dû l’assommer car il s’est tu d’un coup.
Dans le silence qui s’ensuit, le mot
bâtard continue de résonner sous mes tempes dans une multitude d’échos déchirants, si monstrueux que la Voix cosmique, qui savait si bien me raconter dans mes solitudes, s’est recroquevillée sur elle-même tel un escargot effarouché. » (p. 109)

C’est avec cette accusation de bâtardise qu’est renoué le fil avec l’enfance de Kadhafi et avec les tourments qui l’auraient conduit à défier continûment les puissants pour devenir leur égal. Pour devenir soi et rien que soi, faut-il se préoccuper de sa naissance ?
« Sommes-nous tous les enfants de nos pères ? Issa le Christ était-il le fils de Dieu, ou le fruit d’un viol passé sous silence, ou bien la conséquence d’un flirt imprudent ? Quelle importance ? Issa a su faire de sa jeune vie une infinitude, de son chemin de croix une voie lactée et de son nom le code d’accès au paradis. Ce qui compte, c’est ce que nous sommes capables de laisser derrière nous. Combien de conquérants fabuleux ont engendrés des rois fainéants ? Combien de civilisations ont disparu une fois confiées à des héritiers de basse envergure ? Combien d’esclaves ferrés ont brisé leurs chaînes pour bâtir des empires pharaoniques ? Je n’avais nul besoin de savoir qui était mon père ni de chercher la tombe d’un illustre inconnu. J’étais Mouammar Kadhafi. Pour moi, le big bang a eu lieu le matin où j’avais pris d’assaut la radio de Benghazi pour annoncer à un peuple endormi que j’étais son sauveur et sa rédemption. Bâtard ou orphelin, je m’étais substitué au destin d’une nation en devenant sa légitimité, son identité. Pour avoir donné naissance à une nouvelle réalité, je n’avais plus rien à envier aux dieux des mythologies ni aux héros de l’Histoire.
J’étais digne de n’être que moi.
 » (pp. 126-127)

La question des origines de l’ambition démesurée qui meut les candidats à la tyrannie est-elle la plus importante ? Ou faut-il plutôt se demander, comme le fit La Boétie (2) voici près de cinq siècles, pourquoi la multitude - en principe immaîtrisable - plie l’échine face au maître ? Ou encore par quelle malice des choses la durée de la tyrannie raffermit conjointement l’autocratie du tyran et la stabilité du monde social ? C’est cette dernière question que les conséquences confuses de ce qu’on appela le printemps arabe mettent en avant aujourd’hui. Le prix de l’arbitraire du tyran - le prix en vies, en tortures, en injustices, en pauvreté perpétuée, en famines provoquées -, ce prix dépasse-t-il celui du désordre qui succède souvent au pouvoir renversé ? La première vertu des régimes démocratiques - peut-être la seule - serait-elle de limiter la durée des pouvoirs et d’assurer une succession rarement chaotique aux dominants politiques ?

Le livre de Yasmina Khadra est plutôt réussi, si ce qu’il tenta est de conférer l’épaisseur du vécu à un de ces événements importants dont nous ne connaissons habituellement que le compendium diffusé par les médias. Les circonstances exactes de la mort de Kadhafi restent d’ailleurs ignorées et donnent lieu encore aujourd’hui à des rumeurs diverses, le plus souvent fantaisistes. Voilà qui justifie pleinement la forme romanesque. L’écriture la justifie tout autant. Il y a juste à regretter quelques formules abstruses qui, de temps à autre, trahissent malencontreusement la volonté d’afficher un talent parfaitement visible sans cela. Un seul exemple :
« Le code était simple : je posais la main sur l’épaule de ma proie, mes agents me la ramenaient le soir sur un plateau enrubanné, et mon lit effeuillait ses draps soyeux pour que l’ivresse de la chair exulte. » (p. 57) Un lit qui effeuille, une ivresse qui exulte, était-ce bien nécessaire ?

(1) Yasmina Khadra, La dernière nuit du Raïs, Julliard, 2015.
(2) Étienne de La Boétie, Le discours de la servitude volontaire [rédigé en 1549], Éditions Payot, 1976.

mardi 22 septembre 2015

Note de lecture : George Orwell

1984
de George Orwell


Aux dires des médias eux-mêmes, George Orwell serait à la mode. Fâcheux constat (1), tant ce genre d’engouement passager ne tolère qu’une approche faussée de l’élu, dont on ne retient le plus souvent qu’un cliché menteur. Bien des gens s’imaginent alors connaître Orwell sans même l’avoir lu, ce qui est autrement grave que de l’ignorer. Interrogez celle ou celui qui évoque Orwell et, le plus souvent, vous n’entendrez citer qu’un titre, 1984, et qu’un mérite, le prophétisme de son auteur, lequel aurait prédit ce monde actuel dans lequel nos faits et gestes sont de plus en plus surveillés et fichés.

Je viens de relire 1984 (2). Ce qui m’a immédiatement sauté aux yeux, c’est que le propos n’a rien de prophétique et que sa valeur - ô combien grande - ne réside nullement dans une quelconque prédiction, que ce soit pour l’année 1984 ou bien au-delà. « If you want a picture of the future, imagine a boot stamping on a human face - for ever. » : cette phrase si souvent répétée - et encore mise dans sa bouche dans la fiction que BBC four lui consacra en 2003 (3) - n’annonce pas des temps auxquels nous serions promis ou qui seraient depuis lors advenus, mais alerte sur un aspect de l’homme contre lequel il sera toujours nécessaire de lutter, sans croire que l’on puisse s’en affranchir un jour. Et c’est pour comprendre ce sens-là de l’ouvrage qu’il convient de le lire ou le relire et de s’éclairer également des autres œuvres d’Orwell, non moins intéressantes d’ailleurs.

Je ne suis pas suffisamment qualifié pour me permettre d’affirmer ce qui fait la spécificité d’Orwell, moins encore pour définir ce qu’il avait en tête en écrivant 1984. Il me semble cependant qu’une des notions capitales autour de laquelle son parcours s’est construit est celle de « common decency ». Bruce Bégout a publié à son sujet un petit essai éclairant où il précise notamment ceci :
« Cette formule de common decency revient de si nombreuses fois sous la plume d’Orwell qu’elle ne peut être due, chez un écrivain aussi soucieux du choix de ses mots et de l’économie générale de sa pensée, au simple hasard. Sa fréquence témoigne de la présence d’un concept clé. Même si Orwell n’est pas à proprement parler un théoricien (certains lui reprochant même un certain amateurisme théorique, notamment dans sa connaissance historique du marxisme et du socialisme), son œuvre critique et polémique est celle d’un authentique penseur. Dans la forêt des arguments et des discussions, il voit clair. Son socialisme s’abreuve directement à sa propre expérience vécue de l’humiliation sociale et de la solidarité des humbles. Et c’est sur cette base intuitive qu’il édifie sa vision du monde. Mais que faut-il entendre par cette common decency qui constitue le cœur de sa pensée politique ? Il s’agit d’une expression qu’Orwell emploie régulièrement à partir de son enquête sur la vie des mineurs du nord de l’Angleterre en 1935 (The Road to Wigan Peer). Elle désigne tout d’abord une sorte de “sens moral inné” propre aux gens simples :
“Dans un foyer ouvrier – je ne parle pas ici des familles de chômeurs, mais de celles qui vivent dans une relative aisance – on respire une atmosphère de chaleur, de décence vraie, de profonde humanité qu’il n’est pas si facile de retrouver ailleurs” (WP, 131).
Il nous faut indiquer qu’Orwell a tout d’abord repéré cette décence ordinaire parmi les gens que la société considère en général comme indécents en raison de leur manière débraillée de vivre : les mendiants et les vagabonds. Cet élément biographique n’est pas à négliger pour la compréhension même de ce que signifie la
common decency. En effet, par une sorte de démarche autopunitive, Orwell, ancien élève d’Eton et membre de la police impériale en Birmanie, décide, à la fin des années vingt, contre l’avis de sa famille et de ses amis, de s’avilir en choisissant de vivre parmi les déclassés. Voulant en quelque sorte se racheter du fait d’avoir appartenu aux deux plus hautes institutions de l’Empire britannique (la Public School et l’armée coloniale) qui représentent une autorité qu’il a toujours rejetée, il adopte une stratégie d’abaissement social. Il désire partager, de manière expiatoire, le sort de tous les êtres inférieurs et déchus : les coolies birmans, les trimards, les chômeurs, etc. » (4)

Selon moi, il n’y a pas seulement là la découverte d’une certaine forme d’authenticité et de savoir-vivre qui serait l’apanage d’une classe sociale (qui depuis lors a peut-être perdu certaines de ses spécificités), mais il y a aussi l’éloge d’un type de relations avec autrui qui fait abstraction de toute supériorité ou subordination, pour n’être qu’empathie et aménité. Ce qu’il y a de plus fondamentalement moral dans l’homme connaît sa première expression dans la banalité du commerce le plus ordinaire. Et c’est pourquoi je pense que le jugement moral que l’on voudrait poser sur quelqu’un devrait d’abord porter sur son quotidien, ses rapports avec son entourage, son comportement le plus discret et le plus pratique, etc., bien davantage que sur ses écrits, ses déclarations publiques et a fortiori ses engagements politiques. En l’absence de tout fondement, la morale est au mieux ce qui distingue la gentillesse de la méchanceté, distinction qui s’apprécie surtout dans les rapports humains les plus quotidiens, les plus banals, les moins explicites. Qu’une classe sociale dominée forme (ou ait formé) un champ propre à favoriser ce type de rapports, cela me semble certain. Mais la common decency reste à la portée de qui que ce soit, dès lors qu’est comprise l’importance de l’acratopège, c’est-à-dire de ce qui est banal, ordinaire, sans conséquence apparente, de ce qui est accompli en toute simplicité. J’ai personnellement connu bien des gens qui eussent pu être décents s’ils n’eussent point participé de quelque manière à un quelconque pouvoir, exercice qui les a dévoyés peu ou prou ; moi-même - si faibles qu’aient pu être les prérogatives dont je fus quelquefois investi -, je n’y ai sans doute pas échappé complètement.

De la même manière que Bourdieu a déploré - je ne sais plus dans quel écrit - que les politiciens de gauche se désintéressent totalement des maillots de corps de la classe ouvrière, Orwell « ne pouvait pas se moucher sans faire un discours sur les conditions de travail dans l’industrie du mouchoir » (5). La vie pratique entretient avec la réalité un rapport vertueux que la théorie, la spéculation et plus généralement la mainmise et la puissance dissolvent.

C’est ici qu’il convient de dire un mot des convictions socialistes d’Orwell. Elles étaient - je crois - à la fois très fermes et sans concessions. Très fermes en ce qu’il n’a sans doute jamais renoncé à prôner l’avènement d’une société socialiste, radicalement différente de la démocratie bourgeoise et de ce qu’il appelait le capitalisme. Sans concessions en ce qu’il n’a pas davantage cessé de dénoncer toutes les formes autoritaires de pouvoir, à commencer par celles qui prétendaient tirer leur légitimité du peuple et œuvrer à son bonheur. En janvier 1941, il écrivait dans The Left News : « Soit nous transformons l’Angleterre en une démocratie socialiste, soit, d’une façon ou d’une autre, nous devenons une partie de l’empire nazi ; il n’y a pas de troisième possibilité. » (6) Un mois plus tard, convaincu que la révolution était un préalable nécessaire à la victoire contre Hitler, Orwell en prédisait la naissance en ces termes :
« Lorsque le véritable mouvement socialiste anglais apparaîtra - il devra apparaître si nous ne voulons pas être vaincus, et ses fondements existent déjà si on écoute les conversations dans des millions de pubs et d’abris anti-aériens -, il traversera toutes les divisions existantes entre les partis. Il sera à la fois révolutionnaire et démocratique. Il aura pour but les transformations les plus fondamentales et acceptera d’utiliser la violence si besoin est. Mais il acceptera également que toutes les cultures ne sont pas les mêmes, que les traditions et les sentiments nationaux doivent être respectés si les révolutions doivent réussir, que l’Angleterre n’est pas la Russie - ni la Chine, ni l’Inde. Il comprendra que la démocratie britannique n’est pas un mensonge complet, n’est pas simplement une “superstructure”, qu’au contraire elle est quelque chose d’extrêmement précieux qui doit être préservé, étendu et, surtout, qu’il ne faut pas insulter. C’est pour cette raison que je me suis étendu aussi longuement ci-dessus en répondant aux arguments habituels contre la démocratie “bourgeoise”. La démocratie bourgeoise ne suffit pas, mais elle vaut bien mieux que le fascisme, et travailler contre elle revient à scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Les gens ordinaires le savent, même si les intellectuels l’ignorent. Ils s’accrocheront fermement à l’“illusion” de la démocratie et à la conception occidentale de l’honnêteté et de la décence commune. » (7)

N’y aurait-il pas quelque naïveté dans ces propos ? Pour en juger, il convient de se replacer dans le contexte. La pertinence d’un propos ne tient pas uniquement au fait que la suite de l’histoire le confirme ; il peut également valoir par les réalités qu’il a le mérite de prendre en compte et que les déterminations qui font l’histoire ont en quelque sorte le tort d’ignorer ou de déformer. Ainsi, l’exploitation des opprimés passe aussi, à cette époque, par l’empire britannique, un empire dont Orwell souhaitait la disparition. Que cet empire se soit disloqué sans qu’une révolution du genre de celle qu’il appelait de ses vœux n’y concoure n’invalide pas le propos, d’autant que l’exploitation n’a fait que changer de forme. L’important n’est pas de prévoir, exercice qui ne peut se révéler valide qu’avec beaucoup de chance, mais bien d’être attentif aux réalités envers et contre ses préférences. Lorsque Orwell écrit que le « gouvernement républicain espagnol […], dès le tout début de la guerre civile, a outragé tous les principes démocratiques bien plus crûment que ne l’a fait notre propre gouvernement ou, dirais-je plutôt, que n’importe quel gouvernement conservateur britannique n’oserait le faire » (8), il prend acte d’un fait très important pour qui veut comprendre l’évolution de la guerre civile espagnole, un fait que la plupart des partisans des républicains - dont il fut - n’aurait admis pour rien au monde.

La naïveté d’Orwell se limiterait-elle à la société socialiste qu’il appelle de ses vœux ? Même sur ce sujet, il me semble qu’il convient de ne pas trancher trop rapidement. Ainsi, en avril 1941, il s’exprime à ce sujet comme suit :
« Tous les socialistes, et je dirais même quelle que soit leur tendance, sont persuadés que le destin et donc le véritable bonheur de l’homme se trouve dans une société où tous les êtres humains sont plus ou moins égaux, où personne n’a le pouvoir d’opprimer quiconque, où les motifs économiques ont cessé d’agir, où les hommes sont mus par l’amour et la curiosité et non par la cupidité et la peur. Tel est notre destin et il est impossible d’y échapper ; mais comment l’atteindre, et dans combien de temps ? Le socialisme - la propriété centralisée des moyens de production, plus la démocratie politique - est l’étape nécessaire menant au communisme, exactement comme le capitalisme était l’étape nécessaire après le féodalisme. Il n’est pas lui-même l’objectif final, et je pense que nous devrions nous méfier et ne pas croire que, en tant que système dans lequel vivre, il sera vraiment préférable au capitalisme démocratique. » (9)
On aperçoit malaisément aujourd’hui ce que pourrait être ce socialisme décrit pas Orwell. Mais il ne peut être contesté qu’il représente une sorte d’ajustement entre l’égalité et la liberté passant par la collectivisation des moyens de production. Une utopie ? Selon moi (qui connaît la suite), assurément. Mais on sent bien que c’est l’absence d’oppression sous quelque forme que ce soit qui reste the main mind de sa vision du futur. Et l’on mesure là ce qu’il doit à la douloureuse expérience qui fut la sienne en Espagne (10).

Revenons à 1984. Je crois avoir laissé percevoir combien me désolent les interprétations de cette œuvre qui en font un livre visionnaire qui aurait anticipé toutes les dérives auxquelles donnent lieu Internet, l’emprise publicitaire, la surveillance anti-terroriste, que sais-je encore. Il s’agit là, selon moi, d’une double erreur : une mauvaise analyse des problèmes que la vie privée, sa définition et sa protection connaissent, d’une part, une mauvaise appréhension du sens de l’œuvre, d’autre part. Big Brother, ce n’est pas principalement l’œil qui surveille tout un chacun ; c’est d’abord et avant tout le culte de la personnalité, l’effacement de l’esprit critique, la foi implicite dans le chef et, par dessus tout, le mensonge confondu avec la vérité. Et Big Brother n’est pas l’élément central du système décrit. Cet élément central n’est autre que la cruauté dont tout humain est capable, dès lors que le contexte l’y incite. Faire souffrir autrui, telle est bien la pulsion sur laquelle repose le totalitarisme ; telle est aussi le travers majeur dont l’homme doit continument se garder quel que soit le contexte politique dans lequel il vit. On peut n’y pas croire, à l’omniprésence de cette cruauté, s’en croire dénué, ainsi que Montaigne le donne à penser lorsqu’il fait part de son étonnement devant ses formes extrêmes (11), mais la constance de son déchaînement et la façon dont les progrès techniques ont été mis à son service, particulièrement durant la première moitié du XXe siècle - époque qui coïncide avec la vie d’Orwell - ne laissent guère de doute sur son universalité, au moins potentielle.

Que 1984 se soit inspiré du régime soviétique, et aussi du régime nazi, cela ne fait guère de doute. Et cela indique bien à quelle lucidité sur les rapports entre l’homme et la politique Orwell était parvenu dès 1949. Mais la mise en garde est plus générale et il serait erroné de n’y voir qu’une dénonciation des dérives de l’extrémisme. C’est en l’homme que le danger réside, y compris chez celui qui est a priori le plus porté à la douceur et à la bienveillance. Car il suffit de quelques circonstances nouvelles pour que cette inhumanité si spécifique à l’humain se déchaîne, chez n’importe qui.

(1) Il est difficile de savoir si c’est à cet effet de mode que l’on doit l’édition ou la réédition en français de nombreux ouvrages d’Orwell, ou si ce sont celles-ci qui ont aiguillonné l’effet en question.
(2) George Orwell, 1984, trad. par Amélie Audiberti, Gallimard, 1950.
(3) Cf. l’extrait de la vidéo placé sur Internet.
(4) Bruce Bégout, De la décence ordinaire. Court essai sur un idée fondamentale de la pensée politique de George Orwell, éd. Allia, 2008, p. 15.
(5) Bernard Crick, George Orwell : A Life, Secker & Warburg Ltg, Londres, 1980, p. 266.
(6) George Orwell, Écrits politiques (1928-1949). Sur le socialisme, les intellectuels et la démocratie, trad. par Bernard Hoepffner, Agone, Marseille, 2009, p. 125.
(7) Ibid., pp. 173-174.
(8) Ibid., p. 185.
(9) Ibid., pp. 176-177.
(10) Cf. George Orwell, Hommage à la Catalogne [1938], trad. par Yvonne Davet, éd. Ivréa, 1982.
(11) « À peine me pouvoy-je persuader, avant que je l’eusse vu, qu’il se fust trouvé des ames si farouches, qui pour le seul plaisir du meurtre, le voulussent commettre ; hacher et destrancher les membres d’autruy ; aiguiser leur esprit à inventer des tourments inusitez, et des morts nouvelles, sans inimitié, sans proufit, et pour cette seule fin, de jouir du plaisant spectacle, des gestes, et mouvemens pitoyables, des gemissemens, et voix lamentable, d’un homme mourant en angoisse. » (Montaigne, Les Essais, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 2007, p. 454.


Autre note sur Orwell :
Une histoire birmane

samedi 15 août 2015

Note d’opinion : le “cours de rien”

À propos du “cours de rien”

S’il est une chose qui me désole énormément parmi la désolation générale des débats politiques, ce sont les projets et controverses auxquels donne lieu l’enseignement, tout particulièrement dans la partie francophone de la Belgique. Alors que, depuis bien des années déjà, le monde politique n’avait d’yeux que pour la question de la mixité sociale des écoles, voilà qu’a surgi depuis quelques mois la désopilante question du cours de rien. De quoi s’agit-il ?

Il faut savoir qu’en Belgique, à la suite d’anciens et acharnés combats entre l’école confessionnelle et l’école publique, cette dernière comporte des cours enseignant la religion (principalement catholique, mais aussi protestante, israélite, islamique ou orthodoxe) et un cours de morale initialement organisé pour les élèves dont les parents ne souhaitent pas qu’ils suivent l’un quelconque de ces cours de religion. Or, il est arrivé que les parents d’une fille mineure fréquentant un établissement d’enseignement de la ville de Bruxelles réclament que celle-ci, qu’ils n’envisageaient pas d’inscrire à un cours de religion, soit également dispensée d’assister à un cours de morale, notamment parce qu’ils ne souhaitaient plus « que leurs choix en matière d’orientation philosophique éventuelle, qui ne devraient être que du ressort de leur vie privée, soient connus de tous, par le biais de l’inscription à un cours et de la fréquentation de celui-ci » (1). Saisie des implications juridiques de ce litige, la Cour constitutionnelle a jugé que les dispositions légales qui n’accordent pas aux parents le droit à pareille dispense violent la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme (2).

Dans cette affaire, le problème essentiel réside dans le fait que les titulaires du cours de morale ne sont pas soumis à l’obligation de neutralité qui s’impose aux titulaires des disciplines autres que le cours de religion, obligation qui se résume à « [traiter] les questions qui touchent la vie intérieure, les croyances, les convictions politiques ou philosophiques [et] les options religieuses de l’homme, en des termes qui ne peuvent froisser les opinions et les sentiments d’aucun des élèves » et à « [refuser] de témoigner en faveur d’un système philosophique ou politique quel qu’il soit » (article 4 du décret du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté et article 5 du décret du 17 décembre 2003 organisant la neutralité inhérente à l’enseignement officiel subventionné et portant diverses mesures en matière d’enseignement), mais uniquement à la seule obligation de s’abstenir de « dénigrer les positions exprimées dans les cours parallèles » (article 5 du décret du 31 mars 1994 et article 6 du décret du 17 décembre 2003), obligation qu’ils partagent avec les titulaires des cours de religion.

Ai-je besoin de dire que l’obligation de neutralité dont sont dispensés les titulaires des cours de religion et de morale n’est guère respectée par bien des titulaires d’autres cours ? C’est qu’il en va de la neutralité de l’enseignant comme de l’objectivité du journaliste : l’incapacité pour quiconque de la respecter absolument incline ceux à qui elle pèse à s’en affranchir, alors que tout son prix réside dans l’effort constant qu’elle réclame pour s’en approcher. Que dire alors des titulaires du cours de morale à qui cette obligation n’est pas faite, sinon que la plupart ont depuis longtemps aligné les valeurs qu’ils professent sur celles de ce qu’on appelle - assez improprement - le libre examen, au point que le décret du 31 mars 1994 précité parle du « cours de morale inspirée par l’esprit de libre examen » en lieu et place du « cours de morale non confessionnelle » (ainsi précédemment dénommé). Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle a cité les documents parlementaires justifiant ce changement de dénomination. Ceux-ci indiquent sans ambiguïté sa signification :
« Conformément à l’évolution du cours de morale non confessionnelle et au vœu de ses promoteurs, il est clairement indiqué que ce cours est inspiré par l’esprit de libre examen. Selon les auteurs, l’expression ‘morale non confessionnelle’ constitue une définition en creux ; elle revient à définir le cours par rapport à ce qu’il n’est pas. L’expression “morale inspirée par l’esprit de libre examen” implique une vision positive. »

Qui sont les promoteurs du cours de morale dont parlent les documents parlementaires ? Sans nul doute des milieux proches de l’Université libre de Bruxelles et de la franc-maçonnerie, car le libre examen est un principe qui - en Belgique - leur appartient désormais. Les définitions qu’ils en donnent (3) correspondent d’ailleurs à une attitude que je m’en voudrais de désapprouver. Mais (et je n’ai pas l’intention de m’en expliquer ici, car je m’éloignerais excessivement de mon sujet) la pratique des libre-exaministes est un peu au libre examen ce que les discours des adhérents à l’Union rationaliste est à la raison : l’affirmation d’une pureté d’attitude qui cautionne la diffusion de doctrines qui n’en portent plus le nom. Le fait est que l’Université libre de Bruxelles, qui partage avec l’Université catholique de Louvain le statut d’école libre - entendez privée - et dont les communs adversaires sont les universités publiques (principalement l’Université de Liège et celle de Mons), reste néanmoins la principale inspiratrice des valeurs que le cours de morale dispensé dans les écoles officielles doit promouvoir. C’est très certainement ce qui a conduit la Cour constitutionnelle à le qualifier d’« engagé » et à le juger inapte à garantir la diffusion d’« informations ou connaissances de manière à la fois “objective, critique et pluraliste” conformément à la jurisprudence […] de la Cour européenne des droits de l’homme ».

La solution au problème que l’arrêt a ainsi créé pourrait paraître simple : il suffirait de supprimer les cours de religion et de morale dans les écoles officielles. Seulement voilà : sans même tenir compte de l’influence dont ces cours alimentent l’espoir, de nombreux emplois sont en jeu. Et les universités de Bruxelles et Louvain - une fois de plus alliées objectives - n’envisagent pas d’en faire le sacrifice. D’autre part, la création d’un cours adapté aux élèves dispensés réclamerait des crédits nouveaux que la conjoncture budgétaire ne permet pas d’espérer.

La ministre compétente, Mme Joëlle Milquet, est issue des rangs du CDH (Centre démocrate humaniste, héritier du parti social-chrétien). Mais le Gouvernement dont elle fait partie est également composé de socialistes. Comment a-t-elle choisi d’en sortir ?

Dans un premier temps, elle a espéré que les parents disposés à refuser à la fois religion et morale pourraient être à ce point rares que leurs enfants iraient à l’étude. Mais cela ne semblait pas être le cas. (4) Et c’est alors que germa - je ne sais trop d’où - l’idée d’un cours de rien. S’agissait-il de tourner en dérision une situation bien belge, de ces situations où, par le passé, le souci de ménager de multiples intérêts contradictoires débouchait souvent sur des remèdes extravagants ? Désopilant ? Voire. Néanmoins, le terrain était ainsi préparé pour créer un tiers-cours. Et le 17 juillet dernier, un avant-projet de décret (5) intitulé décret relatif à la citoyenneté (rien de moins) était adopté par le Gouvernement concerné en vue d’instituer un nouveau cours baptisé cours de philosophie et de citoyenneté.

Que prévoit cet avant-projet ? Dans l’enseignement officiel, une des deux heures hebdomadaires de religion ou de morale serait remplacée par une heure de ce cours de philosophie et de citoyenneté et pour les enfants des parents refusant à la fois le cours de religion et le cours de morale, l’heure ainsi récupérée serait consacrée à « une introduction, un complément ou un approfondissement » de ce même cours de philosophie et de citoyenneté. Dans l’ensemble des établissements d’enseignement serait introduite « une éducation à la philosophie et à la citoyenneté qui vise le développement de compétences et savoirs concernant la philosophie, l’éthique, le fonctionnement démocratique et l'éducation au bien-être » (6).

À eux seuls, les intitulés de ce nouveau cours et de cette nouvelle éducation font frémir. Peut-on croire un instant que la matière couverte soit susceptible de permettre aux titulaires de refuser « de témoigner en faveur d’un système philosophique ou politique quel qu’il soit » ? Et si tel n’est pas le cas, n’ouvre-t-on pas la porte à un nouveau recours de parents qui n’accepteraient pas davantage ce cours que ceux de religion ou de morale ? Que dire ensuite de cette nouvelle inégalité - dont certains font la chasse avec un zèle intempestif - qui verra les élèves dispensés des cours de religion et de morale bénéficier « d’une introduction, d’un complément ou d’un approfondissement » à un cours dont leurs condisciples ne connaîtront que la version écourtée ?

Le plus inquiétant n’est pas là, cependant. C’est en effet le contenu du cours et de l’éducation qui donne la pleine mesure de l’improvisation la plus hasardeuse qui soit avec laquelle, une fois de plus, on maltraite l’enseignement. Voici ce qu’en dit le communiqué de presse :
« Le référentiel [entendez le système auquel chaque leçon est rapportée ; NDR] a pour objectif le développement de compétences et savoirs relatifs notamment à l’éducation philosophique et éthique et à l’éducation au fonctionnement démocratique. L'éducation au bien-être constitue un objectif inhérent aux objectifs précités. Il vise en outre le développement de modes de pensée, de capacité d’argumentation et de raisonnement critiques et autonomes ainsi que le développement d’attitudes responsables, citoyennes et solidaires. Le référentiel précise les contenus des savoirs et compétences ainsi que les attitudes et démarches à développer. Il est dispensé dans le cadre d’un cours pouvant inclure des activités éducatives, citoyennes, solidaires et culturelles développées au sein ou à l’extérieur de l’établissement scolaire. »
Et qui va fixer ce référentiel ? Des groupes de travail, nous dit le communiqué de presse, en précisant pour le cours de philosophie et de citoyenneté :
« Les groupes de travail visés sont composés de manière pluraliste et interdisciplinaire par, d’une part, des représentants des établissements de l’enseignement officiel organisé ou subventionné par la Communauté française, de l’inspection et, d’autre part, des experts, des représentants du monde académique ou des personnalités reconnues ayant une expérience utile dans le domaine de la citoyenneté, de la philosophie, de l’éthique et de la pédagogie. »
Et pour l’éducation à la philosophie et à la citoyenneté :
« Les groupes de travail sont composés de manière pluraliste et interdisciplinaire comprenant les représentants des organes de représentation et de coordination et des représentants des religions et du cours de morale dispensés au sein de l’enseignement, des experts, de l’inspection, des représentants du monde académique ou des personnalités reconnues ayant une expérience utile dans le domaine de la citoyenneté, de la philosophie, de l’éthique et de la pédagogie. »

J’en reste sans voix ! Que donc pourrait-on attendre de pareil attelage ? De quelles connaissances nos pauvres enfants seraient-ils enrichis ? Et quand cessera-t-on de joindre aussi paradoxalement le souci d’une « capacité d’argumentation et de raisonnement critiques » avec « le développement d’attitudes responsables, citoyennes et solidaires » ? Peut-on mêler de manière aussi confuse l’apprentissage de la lucidité et la transmission de valeurs morales ? Quant à la bigarrure des personnes appelées à définir le référentiel et le cadre général, elle témoigne avant tout du caractère inconsciemment doctrinaire du projet.

Quoiqu’il m’ait été donné de suivre quelques enseignements en pédagogie, je n’ai en ce domaine aucune compétence, sinon celle de douter de la valeur des théories pédagogiques. Les méthodes me semblent le plus souvent néfastes, notamment en ce qu’elles prétendent indiquer à celui qui souhaite transmettre des connaissances comment s’y prendre. Et plus les méthodes s’accumulent ou se contrarient, plus les résultats semblent compromis. Par exemple, il est flagrant que les efforts consentis depuis la fin des années 60 pour accroître les chances qu’ont les enfants issus de milieux défavorisés de faire des études supérieures ont été totalement contre-productifs. La misère actuelle de l’enseignement est un grand malheur et le signe d’un grand ébranlement qui, comme le disait déjà Péguy, atteint la civilisation :
« La crise de l’enseignement n’est pas une crise de l’enseignement ; il n’y a pas de crise de l’enseignement ; il n’y a jamais eu de crise de l’enseignement ; les crises de l’enseignement ne sont pas des crises de l’enseignement ; elles sont des crises de vie ; elles dénoncent, elles représentent des crises de vie et sont des crises de vie elle-mêmes ; elles sont des crises de vie partielles, éminentes, qui annoncent et accusent des crises de la vie générale ; ou si l’on veut les crises de vie générale, les crises de vie sociales s’aggravent, se ramassent, culminent en crises de l’enseignement, qui semblent particulières ou partielles, mais qui en réalité sont totales, parce qu’elles représentent le tout de la vie sociale ; c’est en effet à l’enseignement que les épreuves éternelles attendent, pour ainsi dire, les changeantes humanités ; le reste d’une société peut passer, truqué, maquillé ; l’enseignement ne passe point ; quand une société ne peut pas enseigner, ce n’est point qu’elle manque accidentellement d’un appareil ou d’une industrie ; quand une société ne peut pas enseigner, c’est que cette société ne peut pas s’enseigner ; c’est qu’elle a honte, c’est qu’elle a peur de s’enseigner elle-même ; pour toute humanité, enseigner, au fond, c’est s’enseigner ; une société qui n’enseigne pas est une société qui ne s’aime pas ; qui ne s’estime pas ; et tel est précisément le cas de la société moderne. » (7)

Comme le fait Péguy, je vais me répéter. La philosophie, ce sont des connaissances relatives aux diverses façons que l’on a eu au fil de l’histoire d’appréhender les questions sans réponse. Et ce n’est certainement pas à l’enseignement fondamental qu’il revient de transmettre ces connaissances. Si le mot philosophie est utilisé dans le sens d’une conception de la vie, faite de valeurs et de raisons d’agir, alors on voit mal comment son enseignement pourrait ne pas être « engagé ». Quant à la citoyenneté, c’est d’abord un état, un état dont on peut postuler qu’il implique des devoirs. Mais si ces devoirs méritent d’être enseignés, il convient précisément de les distinguer de la philosophie, quel que soit le sens que l’on donne à ce mot. Bref, l’idée d’un cours de philosophie et de citoyenneté est une niaiserie, condamnée à déboucher sur des contenus sans rapport avec des connaissances véritables. Le projet d’en confier l’explicitation à une mixture de fonctionnaires, d’experts mal définis et d’affidés des politiques en trahit la totale inconsistance.

Politiciens de tout bord, leave the kids alone ! Ce sont nos enfants qui feront de la société de demain ce qu’elle sera. Or, ce n’est pas en les plongeant dans l’égalité du rien que vous sauverez la mise ; c’est en garantissant la transmission des connaissances, au moins au grand nombre. Le cours de rien, c’est la parfaite métaphore de ce que vous leur concoctez. Réfléchissez un instant : si vous parveniez à insuffler à la jeunesse l’esprit critique dont vous vous rengorgez, vous en seriez les premières victimes.

(1) Cette explication de leur attitude est ainsi libellée dans l’arrêt n° 34/2015 du 12 mars 2015 de la Cour constitutionnelle.
(2) Il est possible de prendre connaissance de cet arrêt ici.
(3) Cf. ce qui en est dit sur le site de l’ULB.
(4) En annexe à un article de Pierre Bouillon sur la question publié sur le site du journal Le Soir le 17 avril 2015 (à lire ici) figure un mini-sondage réalisé par Internet (donc non fiable) qui donne pour égales les proportions de parents choisissant la morale, la religion ou rien. Il ne conviendrait pas d’en faire état, sinon pour la raison qu’il a pu servir d’alibi à ceux qui militaient pour l’institution d’un cours supplémentaire.
(5) En Belgique, un décret a valeur de loi.
(6) Cf. le communiqué de presse du 17 juillet 2015 du Gouvernement, que l’on peut lire ici.
(7) Charles Péguy, “Les crises de l’enseignement sont des crises de civilisation” [11 octobre 1904] in Jean Bastaire, Péguy tel qu’on l’ignore, Gallimard, Idées, 1973, pp. 175-176.